Une pierre à sel
Toujours la terre recommence. L'orage s'en souvient qui met le ciel à sac. Une chaleur se prend dans les traînes d'été. Les couleurs en saccades font des éclats de vent. Il pleut. De feuilles et d'eau, il pleut. L'allée et le portail sont une même rouille. J'écoute l'air que j'aime, ici glisse là-bas sa petite robe rouge. Rouge de tous les rouges, de la boue à l'humus, de la terre à la brique. J'écris dans l'échancrure, les dernières sueurs, les mots sans retenue se collent au papier. Certains taillent les arbres, d'autres font autre chose. Et moi, sans savoir rien, bien moins que le jasmin, ou l'ortie ou la main, j'écris pour être juste. Et la langue râpeuse des premières châtaignes est une pierre à sel. J'écoute ce vieil air qui fait ici là-bas. Les vignes ont déjà mis leurs breloques vineuses, déjà la veste d'ombre en un soleil rayé fait les jours raccourcis. Et les nuits cisaillées comme raisins d'octobre tombent un peu plus tôt. J'écoute ce vieil air. Les mots sans retenue se collent au voyage. Font la page encombrée. Je suis de ce désordre. Des flammes de bougies quand les plombs ont sauté, des nervures de feuilles quand les doigts s'engourdissent, des sarments obstinés à la dernière fête. Et des creux de fortune pour les oiseaux d'hiver. Je suis de cette vie réchappée des décombres. Une phrase un peu lente sur la paille brûlée. Juste un air aujourd'hui, et ranimer le feu.
Ile Eniger, Terres de Vendanges