Monique Laforce
Née de la lecture, Monique Laforce fait l’école buissonnière, enfile son aiguille au fil de l’horizon, s’acharne à recoudre le poème sur un ruban de Moebius pour que se lisent l’endroit et l’envers de l’histoire. À recommencer sans fin comme un enfant joue au vertige.
Une chaise où s’asseoir, Le Loup de Gouttière, 1998
Les spectateurs du silence, Le Loup de Gouttière, 1999
Des lilas à ciel ouvert, Le Loup de Gouttière, 2000
Le 7 août à titre provisoire, Le Loup de Gouttière, 2001
Dessine-moi une maison, Le Loup de Gouttière, 2003
Ni fille de ni femme de, Le Loup de Gouttière, 2005
*
Cette femme nous voyage dans les murs.
Elle lit que, oui, c’est possible. Encore possible. Elle lit des routes, des rivières, des raccourcis d’étoiles. Elle lit qu’il faut guérir les enfants malades. Tous les enfants malades. Il faut grimper sur des échasses. Jouer à être grand. Elle lit qu’il ne faut pas avoir peur. Qu’on peut redevenir petit après. Que ce n’est pas définitif. Elle glisse dans la belle chevelure du mot définitif.
Les échasses font toc toc toc en tournant autour du monde. Elle lit des chatouilles et des bisous dans le cou. Le nœud du monde se défait. Il se gonfle et part dans tous les sens. Elle lit des oh des ah des rires. Elle lit des crayons de couleur pour dessiner des moustaches de chat sur les joues de la lune. Elle lit des profils de croissants et la voie lactée verse dans les tasses nos petits déjeuners. Elle lit des bulles de lait et des ventres qui gargouillent.
*
Le neuvième jour de la détresse, je suis sortie dans la ville.
J’ai vu un garçon bien petit marcher sur un muret, tout seul, les bras un peu écartés du corps. Balancement. Hésitation. Un geste d’oiseau presque J’ai entendu la voix de sa mère qui le guidait.
J’ai vu, sous le même soleil, une enfant de trois ans attraper un ballon et rire d’avoir saisi la rondeur du monde d’un seul coup.
L’enchantement de ce rire renversé dans mes oreilles. Je l’avais oublié.
Le neuvième jour de la détresse, je suis sortie dans la ville.
J’ai vu une femme avec des cheveux gris qui, chaque jour de la semaine, le matin, à 10 h 30 exactement, allait à l’école apprendre à lire.
J’ai vu un vieil homme sourire. Le plus lumineux sourire que tu puisses imaginer Qu’il s’adressait à lui-même simplement. Au charme fragile du monde qu’il savait saisir et garder.
J’ai vu le vieil homme sourire une deuxième fois. Me sourire. À moi. Sans me connaître. Je me suis souvenu du bonheur.
Du dernier jour de toi.
*
Je suis de songes et de larmes et je n’ai rien oublié de ce que je suis et de qui j’étais.
Je suis l’orpheline du mur et je cherche des portes entre les arbres. Aucun escalier où faire rouler mes billes bleues.
*
Il a cette passion de peindre. En noir et blanc. Comme on inscrit des lettres sur le papier. Pour nommer. Il essaie de peindre le visage de sa mère. Les yeux qui ne regardent pas. Ne voient pas. Les yeux sourds. Qui n’entendent ni ne voient ce qui est autour de la prison. Il s’acharne en vain.
Qui arrive jamais à peindre les yeux de sa mère ? Ou le regard éteint de Dieu ?
Il recommence le parcours à l’envers. Péniblement. Il est toujours plus difficile de revenir. Les traces blanches sur les traces noires des pas. Chacune des traces noires des pas. Recouverte. Malgré la douleur. Les mains ouvertes de ceux qui sont nés trop tôt. La raideur au bord de la chute. Le corps qui tremble. Hésite. Ne s’arrête pas. Parfois les ailes dans le dos marquent la douleur qui veut s’envoler.. Il reste là.
*
De guingois quand l’espoir vacille, je suis du temps de la défaite. Ni pantin, ni fantoche, ni marionnette. Ma main tendue est mon drapeau.
Je me tiens debout comme un arbre. C’est ainsi que je pleure.
Je ne suis pas province, femme de pays, ni survivante, ni rescapée, ni fragile, je suis ce pays même.
Je parle sans me trahir, sans me renier. Je ne suis pas clameur aveugle ni rumeur sourde dans vos oreilles. Je ne parle pas dollar mais parole d’ici, ni bâillonnée, ni peureuse, ni tue. Je parle une langue de poète, celle de miron, de Godin, de Garneau, celle de Morency, de Royer, de Vigneault. Je suis la mer de monde chantant ce pays. Ma colère d’alouette fait trembler la buse.
Je suis d’ici, de liberté nouvelle. Ni désemparée ni soumis ni démunie ni achetée ni vendue ni escroquée ni emprisonnée ni piégée ni perdue ni dispersée ni chassée ni battue ni blessée ni annihilée ni raturée ni ligotée ni cadenassée ni clôturée ni rompue ni brisée ni rapiécée.
J’habite pleinement mon temps, mon espace. Je suis cet amour, ce geste, cette parole.
Je ne suis pas province, fille ou femme de pays, ni patrie, ni pièce, ni séparée, je suis ce pays même.
Tends l’oreille, écoute. Aujourd’hui, demain, sous la voix du poème, tu peux entendre battre mon cœur.
*
Monique Laforce
Cette femme nous voyage dans les murs.
Elle lit que, oui, c’est possible. Encore possible. Elle lit des routes, des rivières, des raccourcis d’étoiles. Elle lit qu’il faut guérir les enfants malades. Tous les enfants malades. Il faut grimper sur des échasses. Jouer à être grand. Elle lit qu’il ne faut pas avoir peur. Qu’on peut redevenir petit après. Que ce n’est pas définitif. Elle glisse dans la belle chevelure du mot définitif.
Les échasses font toc toc toc en tournant autour du monde. Elle lit des chatouilles et des bisous dans le cou. Le nœud du monde se défait. Il se gonfle et part dans tous les sens. Elle lit des oh des ah des rires. Elle lit des crayons de couleur pour dessiner des moustaches de chat sur les joues de la lune. Elle lit des profils de croissants et la voie lactée verse dans les tasses nos petits déjeuners. Elle lit des bulles de lait et des ventres qui gargouillent.
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Le neuvième jour de la détresse, je suis sortie dans la ville.
J’ai vu un garçon bien petit marcher sur un muret, tout seul, les bras un peu écartés du corps. Balancement. Hésitation. Un geste d’oiseau presque J’ai entendu la voix de sa mère qui le guidait.
J’ai vu, sous le même soleil, une enfant de trois ans attraper un ballon et rire d’avoir saisi la rondeur du monde d’un seul coup.
L’enchantement de ce rire renversé dans mes oreilles. Je l’avais oublié.
Le neuvième jour de la détresse, je suis sortie dans la ville.
J’ai vu une femme avec des cheveux gris qui, chaque jour de la semaine, le matin, à 10 h 30 exactement, allait à l’école apprendre à lire.
J’ai vu un vieil homme sourire. Le plus lumineux sourire que tu puisses imaginer Qu’il s’adressait à lui-même simplement. Au charme fragile du monde qu’il savait saisir et garder.
J’ai vu le vieil homme sourire une deuxième fois. Me sourire. À moi. Sans me connaître. Je me suis souvenu du bonheur.
Du dernier jour de toi.
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Je suis de songes et de larmes et je n’ai rien oublié de ce que je suis et de qui j’étais.
Je suis l’orpheline du mur et je cherche des portes entre les arbres. Aucun escalier où faire rouler mes billes bleues.
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Il a cette passion de peindre. En noir et blanc. Comme on inscrit des lettres sur le papier. Pour nommer. Il essaie de peindre le visage de sa mère. Les yeux qui ne regardent pas. Ne voient pas. Les yeux sourds. Qui n’entendent ni ne voient ce qui est autour de la prison. Il s’acharne en vain.
Qui arrive jamais à peindre les yeux de sa mère ? Ou le regard éteint de Dieu ?
Il recommence le parcours à l’envers. Péniblement. Il est toujours plus difficile de revenir. Les traces blanches sur les traces noires des pas. Chacune des traces noires des pas. Recouverte. Malgré la douleur. Les mains ouvertes de ceux qui sont nés trop tôt. La raideur au bord de la chute. Le corps qui tremble. Hésite. Ne s’arrête pas. Parfois les ailes dans le dos marquent la douleur qui veut s’envoler.. Il reste là.
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De guingois quand l’espoir vacille, je suis du temps de la défaite. Ni pantin, ni fantoche, ni marionnette. Ma main tendue est mon drapeau.
Je me tiens debout comme un arbre. C’est ainsi que je pleure.
Je ne suis pas province, femme de pays, ni survivante, ni rescapée, ni fragile, je suis ce pays même.
Je parle sans me trahir, sans me renier. Je ne suis pas clameur aveugle ni rumeur sourde dans vos oreilles. Je ne parle pas dollar mais parole d’ici, ni bâillonnée, ni peureuse, ni tue. Je parle une langue de poète, celle de miron, de Godin, de Garneau, celle de Morency, de Royer, de Vigneault. Je suis la mer de monde chantant ce pays. Ma colère d’alouette fait trembler la buse.
Je suis d’ici, de liberté nouvelle. Ni désemparée ni soumis ni démunie ni achetée ni vendue ni escroquée ni emprisonnée ni piégée ni perdue ni dispersée ni chassée ni battue ni blessée ni annihilée ni raturée ni ligotée ni cadenassée ni clôturée ni rompue ni brisée ni rapiécée.
J’habite pleinement mon temps, mon espace. Je suis cet amour, ce geste, cette parole.
Je ne suis pas province, fille ou femme de pays, ni patrie, ni pièce, ni séparée, je suis ce pays même.
Tends l’oreille, écoute. Aujourd’hui, demain, sous la voix du poème, tu peux entendre battre mon cœur.
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Monique Laforce