L'impatience du monde 8
Contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, dénoncer l’argent n’est pas un luxe de riche mais un privilège de pauvre. Je ne suis pas la foule. Je quitte le chemin pour cueillir une fleur. Dans le trafic de cinq heures, je sors de la file pour trouver le bonheur. Un arbre me suffit pour traverser l’hiver. Sa dormance est un rêve où j’aiguise mes mots. La poésie est une écharde sur la peau lisse du monde, la saveur d’une pomme au milieu de l’ennui, une luciole d’espoir au milieu de la brume. Je garde dans ma main des lignes inconnues, les cheveux de maman, les poils de mon loup, la caresse du vent. Une main qui salue ajoute au paysage un sourire de plus. Même dans un nid de rides, un œuf peut éclore. Les oiseaux de l’espoir ne quittent pas l’hiver. Ils chantent le matin pour réchauffer les arbres.
La présence d’une foule fait de nous des absents. Quand je marche seul en forêt, le moindre chant d’oiseau me redonne mon âme. En poésie, on ne peut pas se cacher derrière les mots. Le maquillage ne tient pas sur la page. On y écrit toujours avec des mots d’enfant. La moindre pierre où l’on s’assoit est un château pour le marcheur. Quand le soleil chauffe trop fort, il se protège derrière le dos du vent. Nos pas sont plus fidèles que la route qu’on suit.
Ce n’est pas tout de faire son pain, il faut aussi le partager. C’est quand on mange ou qu’on écrit que le bois de la table retrouve ses racines. C’est quand on fait l’amour que les planches du lit continuent de chanter. Ne cherchez pas votre âme dans les églises. Elle a le visage des orties, les traits de la rosée, le parfum des érables. La prière du vent se brise contre les murs. Elle fait claquer les portes qui retiennent la vie. C’est dans les rides du jardin qu’on plante les pensées. Quelques ronces ont tôt fait d’en faire des poèmes. Les jours d’orage, ce n’est pas un parapluie que je tiens à la main, mais la fraîcheur de l’eau. Les hommes ont inventé le bruit. Heureusement que le vent leur apprend la musique. Lorsque je tends la main, je ne demande qu’un écu de soleil, la monnaie du pollen, la caresse du vent.
Dans la ruée des foules ou les files d’attente, chaque homme est un barreau. Lorsque mes mots s’ennuient sur la page, je les emmène cueillir des fraises, enjamber des ruisseaux, érafler leurs jambages sur l’écorce des arbres. La nature est la mémoire du monde. Sur les tombes oubliées, le vent sème des fleurs. Quand je quitte la route, mes pas s’enfoncent dans la terre d’un livre. Des virgules papillonnent parmi le blé des phrases. Où l’homme peine à redresser son ombre, les petits bras des fleurs tiennent le ciel à bout de bras. Pour la soif de l’âme, je laisse sur la table un verre de lumière. Il donne un sens au pain que l’on mange pour vivre.
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