L'impatience du monde 6
La mort prend son café sans sucre en lisant le journal. Elle crache son mégot dans le grand cœur des hommes. Ceux qui refusent le drapeau, ceux qui n’ont pas caché leurs plaies sous les pansements d’un Dieu, brandissent leur moignon. Sans fanal à la main, je cherche un homme juste. Je quête un verre d’eau, le mouchoir d’un mot, une goutte de résine, non un baril de poudre. Je cherche la fraîcheur, la bonté, la vie, non la souffrance de l’herbe, une raison de mourir, un couteau sur la gorge. Je quête un peu de pain, de paix, non des murs, des cris, une orange atomique. Je ne requiers qu’un tison dans la cendre des jours, une goutte de miel sur la rose des sables. Dans le grand corps du monde, tous les atomes se touchent. Les globules du sang se mêlent à l’humus. Les racines enfouies rejoignent les étoiles. La pluie porte la vie jusqu’au suc des fruits.
Les pays s’éloignent des hommes comme le sang des blessures. J’appartiens à la faim, au pas des égarés, à l’écharde du cœur sur l’écorce des mots. J’appartiens à la rue tout autant qu’à la mer. La simple joie d’une hirondelle me suffit pour aimer. J’appartiens à l’amour, à la pierre et au thym. Les lilas dans l’obus finiront par éclore comme il pousse du riz dans les cratères de bombes. J’écris comme je marche, du même mouvement. Les mots sont des cailloux qui roulent sous ma plume et dégringolent sur la page. Quand j’atteins l’herbe rase, le souffle se fait court. J’écris avec des phrases de verre dans un buisson d’épines. Le soir a des narines au milieu du visage, des jambes de lumière, des bras de lune folle. J’ai besoin de la mésange qui m’éveille, de la mer qui fuit, du ciel qui se couvre ou se découvre, du hérisson en pleurs, de la terre matricielle, du boomerang des mots, du silence des couleuvres, d’une simple chiquenaude sur la réalité. J’ai besoin d’être digne d’un lac, d’un arbre, d’une montagne, d’un rêve.
L’odeur des arbres morts veut retrouver sa sève, les oiseaux du malheur changer de métier, les portes retourner à leur berceau de feuilles. La ligne d’horizon redresse son échine, le mur son échelle. J’ai remis l’air dans les flûtes, les bouteilles à la mer, la parole aux cigales. J’ai fait des chaussettes avec les drapeaux, des cannes à pêche avec la crosse des fusils, chargé de fleurs les canons. Je n’ai trouvé personne pour brûler son argent. On préfère la monnaie de guerre au quignon de paix. Il fait faire l’amour et repriser la couche d’ozone. Dire la voix des chiens, des marteaux et des clous. Ouvrir des fissures dans les murs du monde. Dire le quartz enfoui, les pommes sur le sol et la main du voisin. Dire le goût des mûres, le craquement des étoiles, la colère des tempêtes, la pluie qui saute de feuille en feuille, les tessons qui fleurissent dans le jardin cassé. La nature est pleine des ratures et d’ajouts. Ce qui a été beau le restera toujours. Tout le cosmos voyage dans quelques miettes de ciel. Mes yeux picorent l’absolu dans le moindre nuage, la moindre flaque d’eau, le parfum du café.
(...)