La terre sous les pas 3
La plus grande part de nous est invisible, et ce qu’on voit est différent pour chacun. Nous sommes des lieux, des paysages, des souvenirs. Nous sommes d’autres temps. Nous sommes mille choses, une table, une chaise, le goût d’une framboise, une goutte de sang laissée sur une épine, la dernière goutte de pluie, le premier flocon de neige.
Le monde muet des herbes nous ramène à la voix. Les plantes gorgées d’eau apporte l’oasis au milieu du désir. La terre sous les pas réinvente la route. L’orage a traversé l’humus pour enfanter la pierre. L’absolu nous fait signe à la pointe d’une branche, d’une aile, d’un nuage. Un feu de foyer ravive la fraîcheur de la vie. S’il faut à la main une table pour écrire, il faut à la parole une chaise de silence.
Nous mangeons tous le même pain du ciel. Nous buvons la même eau, de la plante aux oiseaux, de l’humus aux montagnes. La faim trouve sa proie dans l’habit d’une noisette, la chambre d’un verger, le pistil d’une fleur. J’ai appris la bonté en regardant la pluie, toutes ces fleurs qui sourient pour une seule goutte d’eau, toutes ces feuilles qui tremblent, tous ces ruisseaux qui jouent dans la marelle des vagues. J’écris comme on lance un ballon l’autre côté du mur, pour le simple plaisir d’enjamber l’inconnu. Il retombe toujours en plein centre du monde avant de rebondir.
Je ne crois pas en Dieu mais je laisse un verre d’eau sur la table, une clef sur la porte, une lampe à la fenêtre. Lorsque le vent visite un arbre, il n’oublie pas une feuille, pas un seul recoin. La sève monte jusqu’aux doigts des branches pour se joindre à la danse. Pour écrire, je dois entendre la vie autour de moi, sinon la page reste sourde et le crayon muet.