Prologue à une déclaration mondiale de guerre à l'ordre

Publié le par la freniere


Un Québecois devenu Lyonnais plus provocateur que de raison.

Par Gilles Bertin

Alain Turgeon est un gai luron. En apparence.
Et sacrément lubrique avec ça. À lire son deuxième bouquin on pourrait conclure justement qu'il ne pense qu'à "ça". Comme d'ailleurs à lire son premier, joliment
et explicitement intitulé "Gode blesse". Mais Mesdames
et Messieurs c'est un masque.

D'abord il n'écrit pas que sur "ça". Il s'attaque aussi au reste, au monde entier, avec un emportement foutraque, du pape aux chasseurs, du base-ball à l'écriture,
de l'Amérique à Lyon. Pas facile en le lisant de ne pas être irrité parfois.
Ce Turgeon déploie le plus souvent une verve qui flirte avec la grossièreté. Mais il reste juste en deçà, ou plus exactement cette grossièreté est manifestement plus de la provocation que de la mauvaise éducation. Et cette provocation dit au fond ce que chacun pense souvent mais sans jamais oser ni le dire, ni se le dire. Exemple: "La bohème je veux bien. Mais seulement si ça ne m'empêche pas de jouer au golf." ou "Pour moi, dévisager une femme, c'est regarder ses seins en premier." Turgeon serait-il uniquement quelqu'un de très très franc?

À lire ce livre comme le précédent, il s'avère: un, que l'animal a du style, un style désarçonnant fait de tête-à-queue et de fausse naïveté, et deux, qu'il cache maladroitement derrière sa provoc' une désespérance si fraîche qu'elle en devient roborative. "Tout le jeu est de devenir lucide sans trop me déprimer. On peut dire que ça tient de l'exploit." ou encore "La question est de savoir si un jour je pourrai m'aimer. Et si oui, dans quel but?". Turgeon est arrivé à Lyon il y a quelques années pour "raisons sentimentales". Il venait du Québec. Ce qui n'explique qu'en partie son aisance à parler de sa vie sexuelle. Il pratique depuis la fin de ses études le métier moderne d'informaticien mais il semblerait qu'il ait récemment obliqué vers la communication. Serait-ce dû au changement de majorité politique de Lyon? C'est bien possible, tout est lié dans la vie de Turgeon.

De toutes façons il n'aimait pas l'informatique et il apportera plus de bonheur à l'humanité de cette façon. Témoin sa façon d'animer les fêtes du livre ou les signatures auxquelles il est invité, à coup de trompette ou en y échafaudant des théories ubuesques sur l'histoire occidentale, comme en 2000 à la Fête du livre de Bron. À propos que dit-il de Lyon? "Le problème avec Lyon est que Lyon n'a jamais accepté d'être en province. Au fond, Lyon aurait voulu être à Paris." Ses livres, ni roman ni essai, sont des recueils de textes courts où à travers sa propre vie il nous explore, nous qui vivons comme lui, ici et maintenant. Et Turgeon a eu le talent aussi de dégoter un éditeur qui lui va comme un gant, La Fosse aux ours, un lyonnais qui fait un travail original et de qualité, tant dans ses choix éditoriaux que dans les maquettes de ses ouvrages. Le premier livre de Turgeon est sorti en poche. Et comme jamais deux sans trois, il faudra lire le troisième livre de Turgeon pour savoir comment il va faire avec sa vie maintenant qu'il l'a orientée dans un sens plus proche de ce qu'il paraît être, un fou du roi.

Préambule à une déclaration mondiale de guerre à l'ordre, Alain Turgeon, La Fosse aux ours.
Gode blesse, Alain Turgeon, Le livre de poche

Photo : Gilles Bertin
 

Publié dans Prose

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