À coups de majuscules

Publié le par la freniere

Je ne veux pas qu’on m’enterre à coups de majuscules. Il y a trop d’hommes qui pissent dans la soupe, qui broient du noir en tuant des peaux-rouges, qui tirent dans le tas sans même tirer la chasse, qui tirent des chèques en blanc aux prophètes de malheur, qui se bouchent les oreilles quand un soldat vomit du plomb, qui brûlent des rizières et n’y voient que du feu, qui surveillent la cadence et n’y voient que des sous, qui creusent des charniers et n’y voient que des trous, qui déracinent des arbres pour bâtir des prisons, qui bétonnent et bitument les derniers champs d’avoine, qui mettent des boules quiès quand on appelle au secours, qui cherchent l’ennemi dans les poèmes d’amour. On n’arrive jamais à se parler vraiment. On ouvre la télé pour se fermer les yeux. La lumière que jettent les médias sur le monde n’est que l’ombre d’une ombre. L’univers n’est plus qu’un immense puzzle dont les pièces ne peuvent plus s’imbriquer. Où s’impliquer quand plus rien ne s’applique à rien. L’information n’informe plus, elle s’infantilise dans le divertissement. Les gens ne veulent plus savoir, ils veulent rire. Le monde de l’information n’est plus qu’un monstre qu’on nourrit de fadaises. On connaît le nom des acteurs sans savoir ce qu’ils jouent. On sait ce qu’ils dépensent sans savoir ce qu’ils pensent. On sait le matricule des policiers sans connaître ceux qu’ils frappent. C’est le règne du n’importe quoi, et quand on sait, on vit dans le déni. On ne se voit plus dans les miroirs, mais dans l’image que les publicitaires nous renvoient. Les enfants tournent en rond, les vieillards en bourriques. Chacun remplit sa couche pour faire chier ceux qui les emprisonnent à l’hospice ou l’école. Les banlieusards décorent leurs prisons clés en main et promènent leur chien.

 

Je ne suis plus nulle part dans la ville. Je ne suis plus chez moi. Je ne ris pas aux grosses farces à la mode. Je pleure pour un chien qu’un chauffard abandonne, pour un chat de gouttière dont on coupe la queue, pour un rien, pour un sou qu’on lance comme une injure au mendiant transi, un homme qui roule dans le fossé sans lâcher sa bouteille, une ombre sur le mur dessinant un oiseau, une fillette violée dans un parc à ordures, la paume du mystique écrasée par la foi, pour un enfant puni parce qu’il rêvait tout haut. Je me love en lasso dans les ombres qui marchent. Je n’y suis plus qu’une statue de fatigue aux épaules brisées. Je ne dors que d’un œil dans le labeur des mots. Je trace mon sillon dans le labour des hommes sans respecter la ligne. Je rêve d’une rivière à truites, d’une savane foulée par le pas des chameaux, du chant d’un canari s’échappant de sa cage en mordillant l’osier, d’une paysanne accorte tricotant des bas bleus, d’un simple cœur qui bat sans compter les secondes. Avec un peu de mots, un filet d’encre, une poignée de main, un coup d’épaule, je fabrique un jardin à partir du désert. Il y a toujours un bout d’espoir dans les guenilles du destin, un fil qui dépasse, un bouton qui survit au passage des ans. Il y a toujours un peu de pain dans chaque mot que j’écris, un quatuor de cigales, le pas lent d’un chaland, un fanal qui brille dans la brume et la nuit.

 

 

Publié dans Prose

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