Alain Jegou
Alain Jegou est un poète breton né le 7 octobre 1948 à Larmor-Plage dans le Morbihan en Bretagne. Ancien marin pêcheur à Lorient, il traquait autant les poissons que les mots. Proche des poètes de la Beat Generation et des Amérindiens, sa poésie fleure les vents du large et les chairs salées des territoires affranchis.
Alain Jégou a obtenu le Prix Livre et Mer Henri Quéffelec 2008 au festival Livre et Mer de Concarneau, pour Passe Ouest et Ikaria LO 686070, publiés aux Éditions Apogée. Alain Jégou est également lauréat du Prix Xavier Grall 2008 pour cet ouvrage.
"J'ai rencontré Alain Jegou sur la piste des larmes. Entre pays Cherokee volé et déportation vers l'Oklahoma. Un livre de lui a suffi pour me persuader d'avoir en lui un frère, comme moi métissé de rouge. Nous nous sommes reconnus à travers un courrier abondant.
J'ai vu Alain Jegou au Fort Bloqué, d'intimidé à chaleureux. Puis à Lorient sur son rafiot, la carcasse fatiguée par ce putain de métier inhumain ...mais il n'en aurait pas voulu d'autre!
Je l'ai vu soulagé d'avoir trouvé un digne successeur pour l'Ikaria, content d'envisager avoir plus de temps pour écrire.
Une autre fois encore je l'ai rejoint dans une chapelle sur la lande pas loin de la pointe du Couregan, alors qu'il poussait sa goualante devant un public envoûté par les sons de la harpe celtique .... J'ai compris qu'en Alain Jegou y'avait tout l'océan. Tous les océans. Des rouleaux de tendresse et de chaleur humaine, des tempêtes furieuses des profondeurs abyssales, des courants froids, des courants chauds, des marées saisonnières ou quotidiennes, les alizés, les icebergs, les lagons, ...
Et puis comme l'air résigné parfois, mais toujours les yeux pétillent, et puis l'allure du goéland parfois, dont les ailes de géant l'empêchent de marcher,…
Alain Jegou, c'est le totem de ma tribu."
Béatrice Machet
Bibliographie
1972 - Vivisection. - éd. Millas-Martin
1974 - Fleurs scalpées du silence. - éd. Les cahiers de l'hirondelle
1978 - La Suie-Robe des sentiers suicidaires. - Samipec
1983 - Opaque. - éd. Vrac
1983 - Ce qui vitriole le silence
1983 - Pierre
1983 - Jusqu'à l'aube par effraction. - éd. Hôtel Continental
1988 - Amers. - éd. Atelier Landsable
1989 - Partance. - éd. Atelier Landsable
1991 - Totems d'ailleurs. - éd. Le Dé Bleu
1991 - Couleurs d'étreintes
1993 - Numa Naha. - éd. Wigwam
1994 - Cocktail barbare. - éd. Alcatraz Presse
1995 - Comme du vivant d'écume. - éd. La Digitale
1995 - Fionie folie. - éd. Alcatraz Presse
1995 - Flanchent aussi les nuits. - éd. Barrio Chino
1996 - Abtrift/Dérive. - éd. AVA
1996 - A l'éperdu des songes. -éd. L'Atelier
1997 - Visage sans tain. - éd. L'Atelier1997 - Paroles de sable. - éd. La Digitale
1998 - Afflux. - éd. Atelier Landsable
1998 - La Grande Table. - éd. La Digitale
1998 - Ikaria LO 686070. - éd. Travers
1999 - May Day. - éd. Gros Textes
1999 - Kerouac City Blues. - éd. La Digitale
2000 - La piste des larmes. - éd. Blanc Silex
2001 - Avis de tempête et de fort coup de dent dans la baraque des temps. - éd. La Digitale
2001 - Cocktail barbare. (CD) - éd. Saint-Germain-Des-Prés
2002 - Chair de Sienne. - éd. Cadex
2002 - Kerouac et la Bretagne. - éd. Blanc Silex
2003 - Ombres furtives/ Flüchtige schatten. - éd. AVA
2004 - Gracias a la vida. - éd. Le chat qui tousse
2004 - karia LO 686070, carnet de bord. - éd. Blanc Silex
2005 - Qui conrôle la situation ? . - éd. La Digitale
2005 - Juste de passage (Paso por aqui). - éd.Citadel Road Editions
2005 - Symphonie érotique. -éd. Fibles libres & L'Autre Rive
2007 - O Felo. - éd. AMASTRA-N-GALLAR
2007 - Passe Ouest suivi de Ikaria LO 686070. - éd. Apogée
2007 - Cash, suivi de Dérive et Ombres furtives. - éd. L'Autre Rive
2009 - Fatal ressac avec Joëlle Quatresous. - éditions Les chemins bleus (collection nuage noir polar)
2010 - Paysages écrits - dessin de Georges Le Bayon, correspondance entre Alain Jégou et Jacques Josse. - éditions Folle Avoine.
2011 - Exode - Livre d'artistes avec Alain Le Beuze et les gravures de Georges Le Fur
Un chrysanthème dans le pif
A Claude Pélieu et Mary Beach
Aujourd'hui le ciel de Bretagne à le sourire qui fuit
Mélanco naze flottant sur la houle des clavaires
Marée bigote lécheuse de traditions
Le pays a le chrysanthème louche
Foi de convenances et recueillements chroniques
D'Amérique les mots que je relie ont meilleure attitude
Et la saine amplitude des raz-de-marée impies
Illuminations verbales loin la boucaille d'ici
Qui embourbe tragiquement l'espace et les esprits
Quelques pincées de vie soigneusement enveloppées
Arrimées aux clameurs de tripes et sentiments
Quelques tons survivants superbement poignants
Rétifs à toutes niaiseries et convenances à la con
Quelques tons survivants superbement poignants
Renouer avec l'ampleur des envolées sublimes
Recouvrer l'énervance et les envies qui priment
En ce jour gris et glauque de tapineuse langueur et
Pieuse hypocrisie
Les vents chagrins de suet déballent leur attirail
Susurrent leur mélopée à nos souilles méningées
Morbides et suicidaires en l'affligeante ambiance
Ces vents sont si troublants et fourbes et angoissants
Ceux qui ouvrent la voie aux plus fortes dépressions
Ravageuses émérites et naufrageuses notoires
Cartes postales-collages-poèmes comme poignées de coeur
Pour conjurer le sort et son mauvais lagad
Contrecarrer le flux de céleste nausée
Percer la sale couche de nuages effrontés
Moucher les hargnes et frimes tempétueuses
Redonner vie à toutes les humeurs et chaleurs baladeuses
Lagad : l'oeil (breton)
*
Passe Ouest
A chacun sa zone d'ombre. A chacun sa dose de silen-
ces, de reserve et de repli, son lot de sentiments troublants
ou accablants, son jardin ou son cloaque secret. A chacu,
son Eden ou son Enfer, son univers de mots, d'images et
de pensées sauvages. A chacun ses mrsures, morflures
et éraflures. A chacun ses pulsions, passions et vibrations.
A chacun sa déprime ou son fantasque élan.
...
Une ondée martèle l'océan, aussi bruyante, intempestive
que les semelles ferrées d'un canasson égaré sur le zinc d'un
bistringue au décor suranné.
Les gouttes, lourdes et rondouillardes, explosent au
contact de l'onde et giclent en milliers de bulles cristallines
sur le miroir figé. Certaines s'éclatent, dégoulinent sur nos
visages, puis s'immiscent lascives dans nos cols pour s'aller
réfugier loin entre la peau et la toile rêche des cirés.
*
À Lance Hanson
janvier-février 1998
Le nuit froide fait éclater
siagner les gerçures
de la terre-mère
la lune du peyotl
aguiche nos regards
bizarrement boutiqués
dans le Renault Master Rock and Roll
Jim Morrison espère plumer son cafard
en enterrant sa hache de guerre
Entre Carhaix et Lorient
la campagne est livide
solitaire et glaciale
aucun phare ni fanal
aucune loupiote amène
pas même un feu follet
déconnant tout son soûl
pour égayer la lande
rien que nous et le diesel
pour trouer le silence
fendre la bise barbare
et câliner l'asphalte
"Hey brother ! Are you OK ? "
*
Baie de Pouldu
Sombre est la nuit. La lassitude aussi. Le coeur louvoie
entre les cailloux noirs. Cabotage de hasard. Les varechs,
sargasses, laminaires, ondulent dans les frêles rayons de lune.
Les chenaux sont étroits, rares les gougnelles, taches claires
et clairesemées dans toutes cette noirceur. La coque tâtonne,
frôle, hésite, divague de bouée à bouée. L'étrave parlemente,
chicane, marchande, revendique, puis négocie son droit de
passage avec la marée. Les feux de la côte, on pourrait pres-
que les toucher. Lampadaires, phares de voitures, lustres et
nostalgies qu'ils engendrent. La terre vit sa nuit. Le destin
qui le pousse au cul contraint le navire à s'éloigner. Hors les
passes, gagner le large où fremit l'autre rive. Gaffe au juger !
La sournoiserie fatale attend l'erreur qui permettra à la roche
de s'empiffrer de bande molle et de bordés résignés.
*
échec sur toute la ligne
pour les poètes visionnaires
les aventuriers déjantés
les jouisseurs effrénés
peu soucieux de s’éterniser
une fois la date de péremption
du produit perso outrepassée
la vie plombée recta
le rêve écrabouillé
le délire hors-la-loi
plus qu’une obsession
dans le crâne collectif
prendre bien soin de son corps
museler toutes ses envies
et fantasmes débraillés
pour battre tous les records
de plate longévité
ramer morfler suer
se punir pour décrocher
le bonheur de vioquir
cuisses fermes et ventre plat
toutes fuites maitrisées
et pattes d’oie colmatées
zombis légumes gâteux
cadavéreux mais survivants
agrippés à toutes forces ultimes
contre vents et diarrhées
au chiche plaisir d’être là
et d’étaler leurs carnes
en frimant du clapier
démodés répudiés
les destins fulgurants
fichés fichus les allumés
karchérisés les renégats
excommuniés les révoltés
écartés diabolisés entaulés
les clopeurs les picoleurs
les baiseurs les viveurs
jogging aérobic roller
bouffe light et WeightWatchers’
hygiène de vie
salubrité mentale
indispensables pour palier
aux carences et dégradations
booster ses miches
et brider ses pulsions
pour résister au temps
Alain Jegou