Les fruits de cave
La neige continue à tomber. J’aime sa persévérance muette, son épaisseur montante. Je dis merci pour la lumière. À défaut de foi, j’ai la louange facile. À côtoyer le givre, je comprends mieux l’été. La vraie beauté, on ne peut pas la désigner. Il faut plus que des yeux pour la voir, plus que des mains pour la toucher. En ce décembre 2011, je regarde l’an neuf par un trou de mémoire. J’affûte l’alphabet pour que les mots tranchent dans le vif. À chaque jour sur terre, la naissance d’un enfant nous sauve de nous-mêmes. Les questions de la vie n’exigent pas de réponses mais implorent l’amour. Mille fils nous relient les uns aux autres. J’en brode avec l’aiguille d’un crayon une dentelle de gestes. Quelques mésanges picossent dans le givre. Les grains de mémoire jetés au feu crépitent d’émotions.
Quand les arbres sont plus fins, les jardins déserts, les vitres embuées, malgré l’épaisseur des vêtements, c’est à la nudité qu’invite l’hiver. Un petit homme en moi pousse vers le ravin une pleine brouette de biens. Me délestant des heures et des poignards à vif, j’avance vers le dépouillement. Même les pierres ont froid. Je laisse ma main courir sur la page. Je réchauffe d’un mot les ailes des oiseaux. J’ai une phrase plantée dans le cœur comme une écharde avide. Je ne suis jamais seul quand j’écris. Je communique avec les racines, les nuages, la petitesse des choses et la grandeur du monde. Lorsque je suis penché sur mon cahier, le bout de mon crayon dessine la ligne d’horizon. Une montagne se dresse sur ses tibias de pierre. Des nuages vont et viennent. Il pleut sur le papier. Les fruits de cave retrouvent leurs racines, la lumière son ombre. La vie est forte. À chaque amputation quelque chose d’autre se reconstruit.
Il neige de plus en plus. Sans tuque sur la tête, j’avance dans le plumage des anges. Vrais habitants de l’air, des corbeaux noirs s’agitent sur le larmier des arbres aux modillons de givre. Leurs cris effraient la neige. Quand on marche dans le blizzard, la décantation de l’âme se fait de l’intérieur, loin du bruit. On ne voit plus que la lumière. L’infiniment petit compose le plus grand. La neige est une symphonie muette. À chaque jour, je me déleste d’un objet. Je me sens à la fois plus fragile et plus fort. En hiver, les branches ne gardent pas l’odeur des oiseaux. Elles attendent leur retour. Un écureuil, sous l’éventail de sa queue, se risque sur la neige. Que cherche-t-il ainsi ? La marche en forêt n’est pas loin d’un rituel. Je remonte lentement vers le zénith de l’an. Chaque seconde a son goût, son amertume, son miel. Disponible à la grâce, c’est en raquettes que je prie. Je cherche l’infini pénétrant le fini, la grandeur d’un monde qui échappe à l’humain. Un lot de petits bonheurs s’accroche aux sapins. Les épinettes se dressent pour affronter le vent. La neige jamais la même se ressemble pourtant. Un ruisseau m’apparaît où j’ai failli tomber. Sous la glace fragile une eau plus pure coule. Sous mes airs de malheur, je porte le bonheur. Je n’ai rien pris au temps que je ne puisse rendre, mes rides et ma folie, ma parole et mon sang. Je n’ai pris que mon temps avec un peu d’espace.