Archie Sheep
Archie Shepp
Rassul Siddik à la trompette Tom Mac
Clung au piano Jack Gregg
Contrebasse et John Betsh aux drums
Richard Bréchet qui s’occupe de tout
De l’ombre des lumières du son
Et des frissons
Comme lorsqu’il prépare ses tableaux
Ici le sexe et les oreilles sont comme
La mer aux coquillages
Dont le cœur est complexe et répond
Aux marées
Troènes d’aubépines dans le rythme
Pour l’orchidée sauvage
Des nerfs
On déballe déshabille et fait gémir
Cuivres cordes et la peau
Des tambours
On fait rouler
Sans retenue la mousson des notes
Où Saint John Perse poète aux
Etriers sonores poussait
La jument du chant
Lentement
Les solistes se coulent ensemble
Dans l’aorte qu’irrigue le son
Le sang bat
Son chemin de Compostelle
Comme tape le bâton du pèlerin
Ils rentrent dans la villa désertée
Depuis les départs en vacances
Pour l’hiver de l’argent
Otent les housses des commodes
De l’oubli
Et plongent
La tête et les bras dans le pull usé
Où retrouver
Après les voyages et les amours et
Les détours
Les odeurs fortes de l’ancien marc
Des vieux jours
Lentement
Ils prennent pied
Comme des marins frais débarqués
Qui gardent le tangage
Et le roulis d’une longue course
Dans les étoiles
*
Archie Shepp tend sa bouche
Prend son sax
Et ça y est !
Ca commence et chacun devient
Ce bernard l’ermite
Du son du souffle et des rythmes
Où le ciel sur son axe
Balance et fait se balancer
Avec lui tous ceux qu’une relaxe
Vient d’arracher
Soudain au poids pesant des jours
Sans miracle
Ils font ronfler
Sur la ligne de départ
Les moteurs de leur formule 1
La batterie frotte
Ses ailes de criquet puis
Fait un bruit de troupeau
Qui broute et avance front bas
Lance ses marées d’équinoxe
Sur les falaises océaniques
Du tympan
Pénètre en forêt
Où tombent les foudres
Et le foutre en tempête des pulsions
Puis bat comme la pluie doucement
Contre les vitres et sur les toits
Du souvenir
Et contre l’Arche
Où nous voguons encore clandestins
*
Le piano cormoran
Plonge et engloutit les phalanges du
Pianiste
Lui il dévore son piano
Comme un moineau picore le pain
Dans les allées d’un parc
Où les buissons se serrent les coudes
Il met dans la salade grise du ciel
Des poivrons et des baies
De couleurs
Puis patiemment
Fait briller l’argenterie
Ternie des passions bien rangées
Et la cire d’abeille d’une montée
Chromatique répand
Son parfum
La trompette
Brise dans les trompes
Le dernier sceau de l’apocalypse
Elle chante à tue-tête
Rit pleure gémit sur l’or l’encens
Et la myrrhe des rois mages
Dont les plus beaux présents sont
Des images
*
Déjà la contrebasse reprend à voix
Basse et répète le thème
Et la passion tenace qui n’attendait
Que ça part au galop
Dans la poitrine large et haletante
Des cordes
Enfin on mélange dans le shaker
De l’orchestre étoiles
Filantes constellations et galaxies
Et la salle vibre
De toutes les fils d’une toile
D’araignée
Qu’un goutte à goutte de rosée
Distille depuis le cathéter
De l’aube
Jusqu’au cœur
Carnassier dont les carêmes sont
Si longs
*
Et le saxo a pris la voix humaine
En otage pour épeler
Ce qu’elle ne peut avec des mots
Et même avec des cris qu’on ne
Sait pas comment écrire
Doux vocéro pour deviner là-haut
Les cercles où plane
Grisolle et se perd dans son essor
L’hirondelle sublime ivre d’idéaux
Le public lisse ses plumes
De pigeon voyageur tandis que
Les convoyeurs attendent
*
Archie ferme les yeux
Sur le pays derrière ses paupières
Et l’on entend alors le vent la nuit
L’eau des torrents
Se jeter sur les cailloux et la mer
Dans les virages en tête d’épingle
De la mort
On tient le volant des deux mains
Tant est secouée la carcasse
Entière du corps
*
Souvenez-vous du pont suspendu
Qui branle sous les pas
Quand vous irez vers l’autre rive
Où écouter
Le chant d’Orphée qui rend vivant
Souvenez-vous
Vous n’êtes pas venus
Du fond de votre vie sans espoirs
D’entendre la chorale vacarmeuse
L’ode le raga célébrant
L’éternelle jeunesse d’être aimé
De sentir le parfum des orangers
En fleurs dans les vallées
Profondes de l’âme
Souvenez-vous
Vous êtes arrivés ici après
Le meurtre des pères sur les fils
L’art la poésie
La musique sont nés du remords
Et de la peur
*
Ici aujourd’hui
Ni ciel ni lune entre deux
Coups d’essuie-glace des guerres
La route luit
Comme la trace d’un escargot
C’est le chemin des Dames
Et les camions de bettes rouges
Transportent des crânes
Mais on est là
Dans les remorques de la musique
Et on revient du front
Derrière nous le village
Dort rien ne bouge on fleurira
Le monument aux morts demain
Maintenant
Les musiciens font rage
Tous respirent au même rythme
« Canto general »
Poème pour tous
Qui n’arrête qu’au petit matin
Avec un bol de café noir
Une tartine beurrée une cigarette
Autour d’Archie
Et de ses potes
Tenant chronique des galères
Et des sessions qu’on n’oublie pas
Il fait beau
La route est longue il faut
Partir Richard sort le chien Marcel
Archie Shepp
N’a pas sommeil son saxo
Veille sur lui parmi du velours bleu
Souvenez-vous
Sa musique a gagné
L’armistice est signé pour un temps
Werner Lambersy