Avec des mots de paille

Publié le par la freniere

J

’ai beau chanter le vert tendre des aulnes, les joues des forsythias, les parfums du jardin, les sèves impatientes, il y a des jours où les mots sont amers, les phrases hérissées d’épines. Entre les assassins de la Bourse et les requins de la finance, entre les marchands d’armes et les trafiquants de dope, les cachots sont pareils, les bourreaux sont les mêmes. Entre les ayatollahs, ces bombes qui croient en Dieu et les preachers, ces colts qui bouffent du pétrole, entre les champs de foire et les champs de mines, on ne prend plus la peine d’enterrer les cadavres, de nettoyer le sang, de soigner les enfants. Les œufs de l’ombre éclosent dans un nid de lumière. Les enfants dorment mal aux bras des femmes battues. L’espoir pourrit sur le comptoir des pauvres. La chair de vivre ne répond plus au squelette d’aimer. Le pain ferme sa bouche et ne parle qu’aux riches. Peut-on briser des chaînes à force de caresses, transformer les rictus en sourires, une écharde en crayon, une balle en bourgeon ? Peut-on parler de feu avec des mots de paille et toucher l’infini avec des bras d’homme ?

Il faut se dépouiller du superflu, garder les trous blancs de la phrase, les ouvertures du corps, les alvéoles du cœur. Sans eux, on ne respirerait plus. On ne verrait plus. On n’entendrait plus. On ne sentirait plus. On pique toujours du nez à la première marche. Où l’enfant se relève, l’adulte baisse les bras. Depuis qu’il pleut des oiseaux morts, les chasseurs s’impatientent. Les temps sont durs, les idées molles. Le temps social se lézarde. Le toit s’effondre. Les murs tombent. Toutes les fenêtres éclatent. Seuls les poèmes et les fleurs semblent tenir le coup. Lorsque j’écris le mot poil, il arrive qu’un chat s’éveille sur la page.

 

Je n’ai qu’à regarder dehors pour qu’un érable prenne mon œil en stop. Un parapluie me sert de drapeau. Je n’ai rien contre le ciel mais contre les nations. Les temps sont proches où les moutons manqueront de laine, les pieds de pas, les arbres de racines. Entre les matins blêmes et les crânes chancis, les cigales englouties et les morts sans visage d’où viendra la lumière ? J’en appelle à l’été, à l’étable, au fétu, au pollen en fœtus dans la grossesse du vent, à la virgule d’un oiseau sur une phrase du ciel, à la ponctuation des fleurs, au mufle de la lune dans la nuit ruminante, à la grammaire des fougères, au pinceau de la pluie, à la pointe Bic d’un pivert. Je m’habille en abeille entre deux pissenlits. Les petits doigts des branches agitent l’eau du ciel. Des cocons sans fenêtres cachent des ailes d’ange. Il faut que je marche, encore et encore. La marche entraîne la parole des arbres, la leçon des nuages, les petits mots de l’herbe. Il me faut traverser la vie des pieds jusqu’à la tête, de la semence au fruit, de la source au nuage. C’est la saison où j’accroche des oreilles au retour des oies blanches, mes orteils à la boue. J’écris à ras du sol, à fleur de terre, avec des mots en mottes. Leurs rhizomes rejoignent les os nacrés des morts, les limbes phréatiques. Je prie devant le monde à naître. Le sang des crucifères colore l’espérance.

Publié dans Prose

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