Ce qui aboie au fond de l'homme
Je ne veux plus vomir à grignoter ma vie, mourir à siroter sa lie, jeter de l’huile sur le sang, ronger le paysage avec le sel des larmes, rogner les heures pour un salaire, coller ma langue sur la froidure des rails, m’user les doigts sur la rognure du monde. Je veux vivre, simplement, regarder le ciel, toucher la peau des pierres. Je dessine les branches pour habiter dans l’arbre. La pluie délace les mailles végétales. Je sors. Je marche. Je m’élève. Ce qui aboie au fond de l’homme, je veux lui rendre gorge, faire chanter les ruisseaux. Sait-on jamais ce qu’on va voir dans l’œil d’un héron, dans les cercles du lac, dans les sillons du jour ? Je marche dans mes tripes sans digérer le monde. Les mots sont comme ces miettes de pain qui restent sur la table. Il ne faut pas se laisser prendre aux bras des choses. Ils étouffent la vie. Sur les routes allant pourtant vers tout, chacun marche vers soi.
Déjà les oies fendent le ciel. Leurs ailes bougent dans mes phrases et les portent plus loin. Déjà les érables rougissent. Ils saignent sur le lac et le blanc de la page. Il pleut des feuilles en attendant l’hiver. Déjà le gel mord les tiges des rosiers. Même les épines ont froid comme un stylo sans encre. Les couleurs exultent avant le gel. L’ailleurs nous environne beaucoup plus près qu’on pense. Tout se nourrit à l’infini. Tout se nourrit de tout. Tout se consume dans le filtre du corps. Il faut consentir au merveilleux, aller vers les hauteurs, sinon tout devient noir, tout reste bas. Les plantes, les bêtes, les minéraux s’unissent en liturgie grandiose, tant que les hommes ne s’en croient pas le maître. On tue l’amour quand on n’en manque. On ronge un os qui manque de chair. J’écris des comme partout, des histoires de fées, des messages sur l’écorce des arbres, des traces écrites sur la neige, des pas sur la route, des rides sur le visage des saisons, des rauques saccadés sur la portée du soir.
On voudrait que le bonheur soit fait pour la défaite, l’amour pour souffrir. On voudrait que l’argent soit le miroir de l’homme. Un son d’ortie pique le silence. Dans le tréfonds de l’être, il faut nourrir ses racines. Il faut saisir les mots dans le creux des corolles, le cri des volatiles, la brume du matin, le bec des macareux en saillie sur le fleuve. Il faut frémir d’être là comme un verbe réel malgré les bruits ambiants de ce théâtre vain, frémir d’être malgré tout, être le grain de sel dans les rouages économiques, être la chair sur l’ossature du monde, l’intime ontophanie du verbe être, une syncope d’amour dans le flux des secondes. Il faut surgir, advenir, être là, non se dissoudre dans les choses. Il faut apprendre à effacer le maquillage du réel et retrouver la véritable source derrière les simulacres des écrans.