Comme des taupes
Le ciel est devenu si noir. Les anges perdent leur chemin. Le temps qui court à nos côtés n’est pas le même pour chacun. La forêt m’est toujours une école, l’oiseau un professeur révisant ma copie. Les routes sont des livres que je feuillette du pied. La neige est un cahier qu’on ose à peine ouvrir. Je marche entre mes jambes pour atteindre le ciel. On a les ailes qu’on mérite. Chaque fois que j’approche la lumière, elle me révèle mes défauts. Chaque geste posé prend la forme du temps. Le vent dévoile le côté femme chez l’arbre, la pluie son côté mâle. L’hiver est arrivé, posant son sel dans les arbres et le soupe des hommes. Je voyage d’un pied. Je me repose de l’autre. Il n’y a pas de route qui ne soit à la fois d’espérance et de peur.
Nous sommes comme les taupes détectant la lumière dans l’humus des ombres, les fleurs prenant racines dans la tourbe des tombes. Nous sommes comme le vent mariant l’air et le feu, le friselis des vagues au sel des bas-fonds, la forme des nuages à l’épure du ciel. La main caresse l’eau et le regard façonne la ligne d’horizon. Je n’ai pas de maison mais la porte est ouverte. Lorsque mes pas délacent les souliers de la route, le jour déboutonne la chemise de l’air. La marche est plus légère. Le vent glisse une main sur l’épaule des arbres. La terre fait semblant de regarder ailleurs.
Quand l’homme s’interroge, c’est l’arbre qui répond, le nuage, l’enfant, le brin d’herbe jauni. Quand le soleil se lève, les fleurs tendent le cou. J’ai soif de cette eau que je ne peux atteindre. Je suis comme une tombe sans cadavre cherchant son corps dans les mots et retrouvant sa chair entre deux pages blanches. Quand l’enfance est passée, il est déjà trop tard pour demander la lune. L’homme fait semblant de vivre et se contente de miettes. Je ne suis pas allé vers l’or qui brillait, j’épiais un insecte dans l’ombre d’une souche. La lumière est plus près que l’ombre que l’on fuit.
Chut ! Écoute ! Est-ce le silence qui craque sur le plancher ou bien les mots qui tombent dans les craques ? L’homme vole en dormant mais ses ailes ont des jambes. On n’habite jamais la plus belle maison. On la bâtit pour d’autres. Je cherche encore mes pas dans la forêt dansante. Les mots sont des bâtons pour s’appuyer dans l’ombre. La ligne droite ne mène nulle part. Il faut apprendre à s’égarer. L’ombre n’est qu’une robe d’emprunt. Seule la lumière existe. Il faut savoir manger sans ignorer la faim.