Comme on vole

Publié le par la freniere


Même pour se taire, il faut des mots, et du silence pour parler. On ne sait pas où l’on s’en va. On creuse. On monte. On redescend. On grimpe l’échelle par les deux bouts. Les portes s’ouvrent ou se referment mais le dedans reste dedans et le dehors reste dehors. Il n’y a pas de vide qui soit vide ni de plein qui soit plein. Il n’y a pas de mort certaine ni de vie incertaine. Il y a ce qu’on appelle, ce qu’on attend, ce qu’on ignore. Il n’y a pas d’arbre sans racines, pas une cruche qui déborde sans qu’un enfant meure de soif, pas une banque qui prospère sans que l’amour en souffre. J’ai délaissé l’échelle sociale et ses barreaux de prison. Je glisse sur la rampe comme on vole en rêvant.


Le parfum de la fleur est une robe invisible. Je ne sais quelle fée y brode ses initiales. J’entends sourire derrière moi. Des mots restés sur l’étagère me regardent en riant. Ils ont lancé très loin le boulet des virgules, ouvert les parenthèses, jeté de l’encre sur le mur. Ils se mordent la langue et tortillent du verbe. Ils défient l’éternel avec une voyelle. Quand le passé se tait, l’avenir est muet. Je cherche un point dans l’espace, un seul trait de lumière dans la sidération des siècles. Je m’élève avec des mots sans ailes. Peu importe où je vais, je retombe toujours sur la page.


Quand il pleut, les arbres sont heureux. Leurs petites feuilles chantonnent. Leurs racines s’allongent. La terre s’ouvre. La sève ralentit sous l’écorce durcie. Le cœur a mis ses grandes combines à porte, ses gros feutres mouillés et ses mitaines pas de pouce. Je m’étonnerai toujours de vivre. Je renais à chaque saison. La vieille maison du corps laisse claquer ses portes et fait craquer ses planches. Sous son habit de mots, mon cœur soliloque. Une voix intérieure réclame sa pitance, un peu de soupe, beaucoup d’amour. Plus je vieillis, plus la mort se fait jeune. Quand un enfant frappe à la porte, je n’ose plus ouvrir.


De quoi donc hériteront nos enfants ? Du train où vont les choses sur les rails du profit, il ne restera rien qu’un immense coffre-fort. La terre déjà réclame ses oiseaux, ses arbres, ses rivières que l’homme dilapide. Le feu, la terre, le vent et l’eau ne veulent plus qu’on les marchande. Nous avons voulu savoir au lieu d’apprendre à vivre, dominer au lieu d’aimer. Je me méfie des hommes trop polis, au sourire colgate, jamais en retard au poste, comptant leurs sous, comptant leurs pas. Ils cachent trop souvent des violeurs en puissance, des tueurs en série, des banquiers en attente. J’ai moins peur des guenilloux que des vendeurs de chars, de ceux qui tendent la main que des agents d’immeubles, des plombiers de service que des gérants d’estrade, des voleurs de pommes que des gérants de banque. Je dois me réfugier dans les os des vieux arbres, les pierres d’un ruisseau, l’inconnu de la nuit. Les nerfs des mots tressaillent dans l’arc imaginaire. Le matin se lève, un brin de paille à la bouche. Un seul oiseau suffit pour faire ma journée. J’écris en peau de chevreuil, en paraphes de lin. Qu’importe que mes images soient bancales, mes phrases mal engueulées si le soleil se lève parmi les milliers d’herbes. Les tunnels sous terre communiquent entre eux comme les sillages des oiseaux sur la dentelle de l’air.


Le cristal des plages est plein d’huile à bronzer. On a beau fleurir les cimetières d’autos, les guêpes n’y butinent que le cambouis des hommes. La langue de nos mères ne servira bientôt plus qu’à lécher des écrans. Il ne faut plus couper les heures en horaire de travail, prendre le temps comme on prend l’autobus.  Mes poèmes n’entrent plus dans mes chaussures d’enfant. Je n’écoute pas le béton mais le cri du héron. Je laisse sur la vitre une haleine de rosée, une goutte de sang sur la page, un livre sur la table de nuit. C’est dans les petits riens qu’on apprend l’infini. J’ai branché mon ordi sur la rumeur du vent, syntonisé la lune, offert ma boite à malle à la détresse des oiseaux. Un quiscale égaré y fait déjà son nid.


Sous l’échelle du cerveau, il y a des boites pleines d’angoisse, des colis d’amertume, des questions sans réponse. Entre les barreaux d’un horaire, les jours se battent entre eux pour être le dimanche. Ce qui domine a moins d’importance que le reste. Ma poésie est un bécique baloune qui roule contre le vent avec un pneu crevé. Mon cœur tressaute dans le panier de broche et tombe quelque fois dans une flaque de boue, le floc floc d’un pas dans la gadoue pesante, un trou d’homme ayant perdu sa bouche. Je dois le ramasser avec des pincettes ou une pelle à fumier. Un arbre m’a prêté son âme pour en faire des mots, une pierre son rêve, une rivière sa mémoire. La nature nous aime malgré tout. Chaque fruit que l’on cueille, nous en donne la preuve. Il faut lui rendre ses caresses.

 


Publié dans Prose

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