Comme une honte

Publié le par la freniere

Les Incas ne connaissaient pas la monnaie d’échange. L’or servait de parure et l’argent d’ustensiles. Ils n’avaient ni banquiers ni mendiants. Les Espagnols leur ont tout volé. Les bâtisseurs de Macchu Pichu vivent depuis dans des maisons de carton. Au moindre signe de paix, les spéculateurs frissonnent. Au moindre signe d’abondance, les téléscripteurs s’affolent. Les guerres et les famines engraissent les banquiers. Les spéculateurs sont comme la sécheresse. Ils pillent jusqu’au désert. Ce qu’on reçoit en trop est toujours aux dépens d’autrui. Entre le fleuve des soupirs et les bulletins de nouvelles, on n’entend qu’un silence raboté de souffrance. Les sourds sont surpris qu’on entende leurs cris.

         

Le jour se lève comme une brute, ce matin, mal rasé, mal luné, les deux pieds dans la bouche. On a voté hier, mais qu’importe à la terre qu’on change de bandits. On continue le massacre. La cagnotte est toujours aux mains des moins humains. L’Amérique est obèse. Ses enfants ne rêvent plus entre les statues de sucre. Leurs filles s’offrent en pâture pour le moindre faux cil. Dire qu’il y en a là-bas qui prient à trois genoux pour quelques grains de riz. On bâtit des palaces en détruisant la terre. Je parle dans une langue étrangère aux banquiers. Des continents se bousculent à ma bouche. Mes huitièmes de neurones s’affolent pour un mot. J’ai des varices au cœur à force de crier. Je ne veux pas mourir au fond du lit d’une ville comme une tomate en pot. J’écoute pousser les fleurs. Je parle avec la lune, les pierres philosophales, les ronces et la rosée. Lorsque mes pas s’égarent, je demande la route aux abeilles, aux oiseaux, aux ruisseaux. J’appuie ma voix sur ce qui sait pleurer. Je tends pour quelques mots une sébile de papier. J’aurai passé ma vie à n’aimer que la vie dans ce monde où l’argent étouffe la bonté. J’aurai vécu pour troubler l’ordre avec mes rêves et reculer d’un pas l’apparence des choses.

         

La fleur de l’ortie est une boule de courage. Le temps est-il plus large que l’espace ? Je n’ai pas la lâcheté des guerriers mais l’espérance d’une fleur. Même la plus haute montagne s’accorde aux pulsions de la terre. Tous les atomes communiquent. Le vent raconte aux feuilles ses histoires de voyage. La pluie s’allie avec la pierre, le sel avec la mer, la sève aux branches d’arbre, le pollen aux bronches d’air. Le feu des épervières enflamme le regard. Quand je mange une pomme, c’est au rêve d’un arbre que je goûte. Le désert est une pluie manquée. Le plus dur pour l’homme est ce qui le façonne. Je cherche la maigreur dans un bagne de gras, un peu d’eau sur la pierre, un peu d’herbe dans l’air. Penché sur un abîme, je compte les étoiles. Je ne veux pas mourir complice de l’oubli avec des larmes aux yeux que personne ne comprend. J’ai découvert en moi des hommes vivants, des femmes debout, des enfants de la lune. Je m’habille de lumière, de bois et de souffrance. Je vis entouré d’arbres. Je voudrais que mes gestes poursuivent ceux des plantes. Il faut soigner la terre jusqu’en nous.

Publié dans Prose

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Commenter cet article
L
<br /> Comme une honte, comme une colère qui monte, tout au fond, et la persévérance du jardinier... Merci et continuez à écrire à grandes pelletées de phrases, s'il vous plait, que le bruit de la terre<br /> qui tombe devienne clameur...<br />
D
<br /> Parfois le désir comme une émanation de<br /> l'instinct de survie, de s'extraire de ce monde là pour s'en aller respirer dans l'autre, le vrai. Qui n'est pas de papier.<br />
K
<br /> Je lis et suis émue jusqu'au bout de l'âme, un peu comme si surgissait en miroir quelque chose de moi mis en mots ...<br />