D'un bakchich à l'autre

Publié le par la freniere

Que dire de la verrue morale des élus qui ne pensent qu’à leur poche, des hommes d’affaires véreux qui rançonnent la vie ? Du trafic d’influence aux congestions routières, de prozac en pop-corn, de bakchich en pourboire, leurs petits coqs de province et leurs gérants d’estrade ne sont pas mieux, leurs cadres aux doigts croches épiant les autres dans une guérite de carton, leurs peureux de service, leurs Père Ovide, leurs larbins, leurs fonctionnaires atteint du syndrome de Peter, leurs surnuméraires du pouvoir avec le même attaché-case, la même cravate, le même sourire bête, la même tête vide où s’empilent des contrats mal acquis, le même regard hautain, le même trou dans le cœur. Dégoûté de voir des bêtes en liberté, des arbres sans numéro, des poètes sans auto, des fleurs sans micro, des pingouins sans smoking, des oiseaux sans permis, ils brandissent un drapeau plein de publicités. Ils attendent qu’on remplisse leurs verres déjà pleins. Tout le monde vit pour soi-même sans s’occuper des autres, grattant la panse ventrue des banques, caressant leur auto, leur i-pod, leur fusil. Les malheureux n’ont plus qu’à se résigner, les pauvres à s’affamer, les hommes à s’affronter dans un combat de coqs, les sportifs à compter dans leurs buts, les chiens policiers à vivre des coups de dent qu’ils donnent aux citoyens, les prêtres à marcher sur l’eau avec des pieds troués, les ouvriers à fabriquer des choses qui les assassinent, les statues à se fondre dans la foule, leur tête sous le bras respirant les aisselles, les rêves à se vendre en cachets, en lignes blanches ou en billets de loterie. Nous vivons présentement dans un désastre humain. Nous boitons des deux pieds, le cœur oblitéré attendant son visa, son os payé trop cher ou son billet gagnant. Chacun fait provision de haine à défaut de rêver. Il y a de la poussière sur les organes du temps, du sang séché dans les entrailles du monde. Seuls les enfants sourient au milieu des décombres. Ils jouent au foot parmi les détritus, le smog et la détresse. Seules les femmes ont des couilles en face des naissances.

        

Il n’y a plus de seaux assez larges pour les larmes, plus assez de trous pour les balles dans la peau, plus assez de pain pour les quêteux, plus assez de jours pour terminer le travail, plus d’épaules assez fortes pour défoncer les portes, plus assez d’aiguilles pour le fil à retordre, plus assez de bonté pour respecter la vie, plus assez de bulldozers pour enterrer les morts, plus assez de bombes, plus assez de sang pour les blessures, mais juste assez de cibles pour la portée des drones, assez d’enfants pour servir d’esclaves. Il faut cesser de baptiser le vin et mettre le feu aux poudres avec la mèche des révoltes. Il faut cesser de marcher en rang, de voter, de signer des papiers et de vendre sa chair à l’encan des boucheries. Il est temps qu’on déserte les bureaux, les usines, les écoles, les écrans, qu’on mette le feu aux billets de banque, aux visas, aux passeports, aux papiers militaires et aux cartes de crédit. Il est temps qu’on marche debout avec la tête dans les nuages et les pieds sur la terre qui n’appartient qu’à elle.

Publié dans Prose

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