Dans ce qui manque au jour
La maladie est devenue un commerce. On offre des visites guidées de la douleur, avec des larmes en prime pour le guichet des yeux. Appuyée sur le vide, l’échelle sociale importe plus que le ciel à atteindre. On juge l’homme sur son linge. On ne vole plus leur âme mais les souliers des morts. On se photographie à tire-larigot, mais peut-on vraiment voir avec des yeux sans larmes. Laissez-moi déroger à la loi de l’image, c’est l’intérieur de l’âme que je voudrais plus beau, la vérité du cœur que j’aimerais qu’on écoute, le murmure des enfants étouffés par la guerre. Malgré tous les cocoricos, l’œuf de coq est une coquille vide, un caprice de combat, un orgueil de mâle. Dans ce qui manque au jour, même la nuit n’y peut rien. La foi du charbonnier ne réchauffe plus rien. Elle laisse de la suie sur le blanc des hosties. De New-York à Ouagadougou, partout la même tyrannie, la même hypnose collective, le même cauchemar climatisé, l’asphyxie à feu doux. Squattant les meilleures places dans un train qui déraille, les hommes d’affaires détraquent les sonnettes d’alarme et sabotent les freins. Sans billet sans passeport, les poètes sont restés sur le quai et parlent aux oiseaux. Dans leurs yeux, des bribes de rêve brillent comme des loups blessés.
Aimer est devenu imprudent s’il n’est pas transformé en commerce, en Noël de papier, en chocolat de Pâques, en roses de plastique. On ne peut pas coter en Bourse l’amour véritable ni les gestes gratuits. Tout est possible. Tout. Le meilleur comme le pire. Pourquoi choisir la route parsemée de victimes ? Le dessin des pas contredira toujours les lignes de trottoirs, les lignes de parti, la ligne droite et la file. Leurs paupières fermées, les yeux troquent le soleil pour une autre lumière. Même la voix des bourreaux garde un rêve en sourdine, une caresse à la peau, un souvenir d’enfance. L’éternité n’est pas le trafic d’organes, la banque de sperme, les sourires au botox, la fortune qu’on laisse, la chirurgie plastique, les gènes en éprouvettes, le martyre à la guerre, le vol des orphelins. Le cœur bat comme il peut sans souci des ordres, du cours de la Bourse, des flottements du marché, du prix du brut et du taux de change. Les anges ne sont pas dans les tableaux d’église ni les dieux dans la prière des balles.
Le néant se rénove plus vite que le jour. Je ne parle pas de tout mais de certaines choses pour approcher le tout. On n’écrit pas avec les derniers mots. Les phrases continuent malgré le temps qui passe et l’espace qui s’échappe. La notion de vide n’empêche pas le plein ni celle de la mort la croissance des fleurs. Peu importe les ponts, les deux rives s’éloignent quand la rivière monte. Ni le temps vers l’arrière, ni le temps vers l’avant ne suffisent à la marche. Lorsque la nuit résiste à la lumière des mots, elle en devient le sens. Lorsque le temps passe trop vite, je m’arrête et m’assois. J’écoute de plus près battre le cœur du monde. J’ajuste ma parole avec le pouls des arbres. Devant l’imminence du naufrage, il ne faut pas rêver de bateau mais se transformer en planche de salut.