Dans cette vie mal cousue
Dans cette vie mal cousue, je peins le paysage avec des restes pleins d’espoir. Je mets des fleurs en pot dans le logis du cœur. L’éternité commence ici. L’oiseau qui chante ne sait rien du silence. Entre l’échelle et les barreaux, j’ai pris la courte échelle. Un rêve plus haut que le cerveau me fait battre le cœur. Reverrais-je le chêne que mon père a planté le jour où je suis né ? A-t-il aussi des larmes que l’on ne voit jamais, des cicatrices au cœur, des mots sur son écorce. I love you forever. La fanfare des feuilles accompagne les nids. Il a fallu du feu pour apprendre à chanter, comme une bouilloire sur le poêle. Ce qu’il y a de fragile me sert de cuirasse. Il ne sert à rien de répondre à la haine. Il y en a qui remarque à peine les nuances des fleurs, la compassion du vent, la musique des choses. Les saisons changent de robe à chaque nouveau bal. Il faut apprendre à vivre avant qu’il n’y ait plus que le sourire des cadavres sur le visage du monde.
J’erre sans but. Je marche sans raison. Le motif des voyages importe peu. C’est ce qu’on découvre en soit qui en fait la richesse. Le paysage mental s’élargit. Le plus loin qu’on aille, on en revient toujours à l’homme. C’est par la plante des pieds que j’ai appris à lire. Quand je parle d’écriture, c’est de chair qu’il s’agit tout autant que de mots. Les morts habitent la terre au même titre que les vivants. Les autochtones le savent qui s’entêtent à protéger leurs lieux sacrés. Il n’est pas étonnant que des hommes nés en cliniques finissent en cyniques. Ils ont troqué l’esprit pour la raison, le partage pour la vente. Où les anciens festoyaient au cours des enterrements, ils enterrent les morts dans un silence de beurre.
J’ai fait un rêve affreux. Dans tous les cimetières, les derniers survivants dévorent les restes humains. Des enfants maigres et sales se disputent les os, les mêmes qui sont nés parmi les détritus au bord des favelas, triant les vomissures que déversent les villes, buvant à même le sol une eau pleine de gasoil et d’acide à batterie. Il n’y a plus de riz. Il n’y a plus de pain. Les céréales servent à nourrir les moteurs. Les derniers riches mâchouillent leurs billets de banque sans recracher la faim. Qu’il se passe ou non quelque chose, l’aventure commence dès qu’on ouvre les yeux. Ce qu’on voyait derrière les paupières détermine la route. Je dois laver mon âme pour effacer la nuit, dessiner des bonhommes, des lutins en raquettes, des oursons de peluche, tracer au crayon vert une sourate païenne, faire la danse de la pluie chaussé de mocassins, écrire des phrases où l’air soit partout, des mots que le vent pousse, qu’une chiquenaude agite, des métaphores en sueurs sous les muscles du verbe.
La vie des arbres me passionne. Ils ne savent pas tricher. Chaque lieu a sa force, sa gravité, sa charge. Chaque ombre porte un ange en filigrane de l’homme. Les manuscrits, les grimoires, les livres finissent par lui donner des ailes. Dans l’ascension du sens, l’alphabet est un sherpa verbal. Chaque phrase est un palier où regarder plus haut. La boussole du cœur n’indique pas le nord mais chaque pétale de la rose des vents, un tournesol ignorant le soleil, une goutte de mercure éclatant sans raison, un regard d’enfant dans les yeux d’un vieillard. Un rêve émerge peu à peu et dissipe la brume. La sagesse commence dans le regard qu’on pose. Dans l’inconcevable d’être né, l’amour non le rire nous console de vivre. Les doigts du vent touchent l’extase au contact des choses, ceux de l’homme en formant des caresses.