Dans mes carnets épars

Publié le par la freniere

Sans soleil, il n’y aurait plus d’ombre. Il n’y aurait plus rien. La vie se cache dans nos manques. Il faut s’arc-bouter, miser sur la bonté, sous oublier le précipice, remettre le cœur à hauteur d’homme, le retirer des griffes du profit, du paraître. Quand je néglige d’aimer, les morts s’éveillent en moi et me transpercent de couteaux. Je dois les émousser un à un, laver le mauvais sang, retrouver le miracle, ramener les mots à leur juste valeur. Je me trouve et me perds dans mes carnets épars. Je ne suis pas une route mais gravis un à un les barreaux d’une échelle. La ligne d’horizon est le premier barreau. La distance que je parcours à pied m’en apprend plus que celle que traverse un avion. Plein de petites choses m’interpellent.

 

 La comédie sociale nous livre pieds et poings liés à l’impermanence. Nous habitons des maisons de carton. Nous écrivons sur le sable. Les flammes qu’on allume sont un feu d’artifice. Mes souvenirs d’enfance me paraissent plus proches qu’autrefois. Je ne vis plus dans la continuité du temps mais le mariage des conjugaisons. Quand un ange passe, je murmure aux chaises vides pour me vider le cœur et le remplir de vie. Trempant ma plume dans la poussière, j’y cherche la lumière, une source d’eau pure dans un visage de boue,  un simple pissenlit dans le plâtras des ruines, la flamme d’une bougie sous l’éclat des néons. On ne contrôle pas les mots qui tombent sur la page. Le rêve et le réel sont les roues d’un wagon crevant les parallèles des rails, ouvrant les parenthèses ou fermant les guillemets.

 

 J’ai pris la peine de vivre pour rencontrer ma blonde. À deux nous corrigeons ce qui manque à l’espoir. Nos mains jointes sur la vie lui redonnent un visage. Poussé par le sang des ancêtres, avec leur substance humaine et la matière des choses, j’écris entre la chair et le bois, entre le corps et l’âme. En retenue au bord du monde comme un mauvais élève, j’enjambe le mur d’un coup de crayon. Je me fabrique des ailes avec les poils d’un pinceau. J’ouvre la porte au son d’une flûte. Je n’attends pas le Messie mais un croûton de pain que l’on puisse partager sans en payer les miettes avec le sang des pauvres. On dirait que je suis né il y a des millions d’années. Il y a une autoroute où les vaches broutaient. Le boisé ont nous dressions des cabanes dans les arbres est devenu un centre d’achat. Il n’y a plus de paysans mais des empoisonneurs. Ils nourrissent la terre de saccharines mythiques. Non seulement la peau du temps a rétréci comme une peau de chagrin mais la capacité de bonheur a diminué d’autant. Où est partie la vie, usée par le travail, abusée par l’usage, percluse de douleurs ? Par où est-elle passée, par le chas d’une aiguille, le trou d’une souris, une maille perdue ?

 

 Je sors d’un magasin où pas une âme ne vit. On y vend le monde à la pièce à des zombies hagards. Je vais écrire au cimetière où le silence est plus vivant. Une famille d’oiseaux s’y recueille dans l’église d’un saule. Le bruit sous mes pas me sert de chemin. Le jour replié sur lui-même s’ouvre comme une fleur. La terre a les pores dilatés par le soleil d’été. Le vent se déplace à tâtons en s’appuyant de-ci de-là sur les arbres et les tombes. Le miracle se terre à l'abri du malheur. Dans une armoire palpite une forêt peuplée de colibris et de paradisiers. Des arbres poussent dans un tiroir. Un fleuve coule sur la page où se reflète des aurores boréales. L’infini prend la voix d’un robinet qui fuit. Sur un écran d’ordinateur ou un bout de papier, la poésie carbure aux mythes primitifs. Grimpé dans un arbre, je grappille des lunes avec des mains d’enfant, des lunes rouges ou vertes. Allongé sur le sol, je suis des yeux les petits wagons d’insectes contournant mon index Tassant mes idées folles, un écureuil s’installe dans un trou du cerveau. Mes mots sont pleins de poils et d’écales de noix. Je suis partout où la vie bat son plein, à l’intérieur des roches, dans les petites graines, les chapeaux des bolets, l’odeur des lavandes, la laine des moutons que tricote le vent. Le merveilleux est partout. On s’acharne à le tuer avec les écoles, les religions, les guerres, les tribunaux, les banques.

 

 Toute chose créée par l’homme est plus suspecte qu’une fleur. L’âme doit survivre au milieu des couteaux et des grincements de dents, faire galoper sans bride le grand cheval du rien. Nous avons le savoir mais nous manquons d’amour. Le troupeau des mots poursuit ce qu’il ignore. On ne décrit pas l’oiseau en vol. Il n’est déjà plus là. Les choses trop visibles ne sont que des fantômes, des apparences, des trompe-l’œil. Les mots que l’on écrit sont toujours au-devant. Je cours derrière mes jambes. Je ne sors plus du livre. Il n’y a plus dehors que l’appétit des banques qui grignote les hommes. Je dois quand même sortir de mon journal, mettre mon ignorance à nu dans la mascarade du savoir. J’ai besoin de canards réels, de colverts, de foulques, de malards. J’ai besoin de la sève tout autant que de l’encre, l’eau qui remue à peine, la pluie pour me sentir en vie, un arbre au bord de la route avec ses fautes de frappe. Même dehors, les mots ne me lâchent pas. Ils me suivent, boiteux, cahotant, des mots à roue qui laissent des ornières. J’ai des virgules entre les dents, une parenthèse sous les yeux, des gestes en Garamond.

 

 Les belles phrases, les mots valides, les mots justes ne veulent plus rien dire. Ils veulent des mots d’acier ou de plastique, des mots faux justifiant le profit. Ils veulent des mots propres pour blanchir l’argent sale, des niaiseries poétiques, des lieux communs, des slogans. Je ne suis pas seul d’être seul, mais dans le monde qui m’entoure on dirait que je parle en oiseau. Je donne la parole aux herbes, aux bêtes, aux vagabonds. J’écris avec des clous, des planches, des cailloux. Un crayon à la main, une pomme dans l’autre, je ne fais pas tourner les tables mais la danse de la pluie mêlée de carmagnole.

Publié dans Prose

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