De l'acte de peindre

Publié le par la freniere

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Peindre, c’est donner de l’épaisseur à l’homme, du poids, le lester du poids de l’âme du monde.

Peindre, pour ceux qui ont choisi de ne pas avoir d’autres choix que l’acte de peindre, c’est aller à la rencontre de l’improbable, de l’imprévisible, c’est porter quelque chose qui ne nous appartient pas pour le poser en un lieu qui n’existe pas encore , et là peut-être quelqu’un d’inconnu sur une trajectoire, dont nous ne savons rien, y trouvera une part de son chemin.

 

De l’autoportrait

 

J’ai besoin périodiquement de me retrouver face à face, avec mon visage. Qu’est-ce qu’il a à me dire ? Où en est-il ? Qu’est-ce qu’il devient ?

Je le regarde, je le laisse parler, il me parle, il me parle de ce que je ne vois pas, de ce que j’ai oublié en chemin, de ce que je n’ai pas voulu voir , il me parle de ce que je suis, de ce que je suis devenu et il me parle aussi de ce que je deviens.

Picasso, à propos du portrait de Gertrude Stein qu’elle n’aimait pas : « elle finira par lui ressembler. »

 

Des chemins de traverse

 

Ne jamais s’arrêter à la part de séduction que peut comporter ce qu’on fait. Ne pas être séduit, vieille histoire ! Toujours sacrifier ce qui ne tient lieu que de savoir-faire et d’habileté et qui souvent donne le change. Face à ce que je fais, avoir une part égale de doute et de certitude. Laisser l’un ou l’autre s’éclairer à la lumière du regard que je porte, comme celui porté sur cette ombre dans un sous-bois, cette ombre qui sera peut-être une souche de pin, un massif de fougères basses, que sais-je encore, et qui ne donnera sa forme pleine et entière que si on la laisse dans son devenir.

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Du trait et du dessin

 

Le dessin dans ce qu’il révèle, dans ce qu’il ne dissimule pas, le dessin m’ensorcelle. De la première ligne sur le mur de la grotte, ces têtes ou cet œil des peintures de Fayoum, aux dessins des Carrache, du Guerchin, Rembrandt, Daumier et ces merveilleux Chinois.

Chez un peintre j’aime voir comment il construit ses signes, son vocabulaire et ensuite ce qu’il en fera, ce qui est un autre problème. Maintenant il est admis que chacun a pris ces distances avec les instruments de la représentation et que chacun a légitimé à se donner sa langue. Soit. Le tout est de ne pas identifier art et processus d’acquisition du langage. Moi, comme les autres.

 

Du papier et de la peau

 

Le papier, papier marouflé, trituré, déchiré, recomposé, Le papier, matériau. Le travail du papier, sa mise en lambeaux, son marouflage, son lissage avec les paumes, les doigts, la construction de ses accidents. Ainsi j’investis le tableau à venir, je prépare le terrain, je fonde.

Est-ce que le papier est une peau ? La peau duvetée de l’oisillon, la peau sableuse du rhinocéros, la peau humaine, grise, rose, jaune, rouge, noire, ocre, ambrée, autant de teintes qu’il y a de sols, la peau qui respire, respire, voilà le mot, respirer, respirer !

La peau est poreuse, j’inscris une peau, je tends une peau sur une cadre, afin que cette peau puisse être résonance. Du chant silencieux du monde je suis le bâton et le chant, le chant et le tambour, tableau - peau, tambour – chant. Chant du monde dans le creux de la création.

On tend les toiles, comme on tendait des filets sur une rivière, comme on posait des collets à lièvres. Peindre, c’est une activité prédatrice au sens noble. Ne se laisse prendre que la proie qui y consent après qu’on l’en eut priée.

 

Michel Madore

 

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Publié dans Les marcheurs de rêve

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