Devant nos yeux

Publié le par la freniere

 

J’écris pour ajouter de l’eau au sable du désert, la luciole d’un mot dans la nuit du silence. Chaque passage à la ligne est le saut d’une truite qui rêve de voler. Lorsque j’éteins ma lampe, un autre quelque part rallume sa chandelle. Les hommes dans la nuit s’échangent la lumière. Quand j’ouvre ce cahier, il commence à neiger. Quelques flocons traversent la fenêtre et tombent sur la page. Comment décrire la neige ? Quand je vais quelque part, je pars toujours d’une ligne sur une feuille de papier. Je monte comme un arbre quémandant la lumière. Ma parole se tend comme un fil à plomb. Il m’a toujours semblé que la musique jouait pour elle-même. Elle est trop grande pour nous. L’oreille n’arrive pas à l’entendre tout entière. Elle souligne notre absence. Le livre, au contraire, se donne complètement. Chaque mot nous parle dans son entièreté. Les pages des anciens nous sont contemporaines. Elles laissent parfois filtrer une défaillance de la mort. Dans la vie d’un enfant, deux mille ans d’histoire est un moment d’ennui. Ses pas sont au présent. Ils suivent un chemin visible de lui seul. Après tant de réponses, la même question demeure. Elle se déplace dans les phrases. La page est une table où je déplie mon âme. Il n’en reste parfois que quelques miettes de mots, une trace de sang. L’homme du sérieux calcule sans voir le brin d’herbe ni le nuage qui passe. Il mourra enterré dans les chiffres sans connaître la vie. L’amour et l’enfance devraient pouvoir guérir ce qui rend l’homme difficile à aimer. La première page d’un livre nous arrête parfois juste avant la dernière. Tournant les pages une à une, je traverse la mer. Les mots s’appuient sans gêne sur plusieurs continents. Un brin d’encre chatouille le ventre du silence. Le besoin de manger ne doit jamais soustraire le besoin de rêver. Tout ce qu’on ne voit pas est là devant nos yeux.


Publié dans Prose

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article