Du pain et des pierres
"L'écriture, c'est la place du mort ... Mais je crois aussi qu'écrire, c'est une manière de renaître, c'est porter la parole de ceux qu'on risque de tuer. Je prends la parole pour ceux qui ne peuvent parler, pour les fous, pour les détenus, pour ceux qui subissent une mise à mort psychiatrique, médicamenteuse, carcérale... Les poèmes de Tristan Cabral __je tiens à le préciser__ ont été lus dans des hôpitaux psychiatriques, et ils ont redonné à des "malades" le courage de s'exprimer. Ouvrez le feu, c'est un livre qui vient de la mort, mais il a exercé un pouvoir de résurrection... Pour rendre la parole à des fous, il fallait que je vive leur mort, même si c'était dans l'imaginaire ....
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Dans la préface d'Ouvrez le feu, j'ai retracé l'itinéraire de quelqu'un qui a cru que tout allait changer, et qui en juillet 1968, s'est retrouvé les mains vides... Mais surtout, j'y reviens, l'intolérable, c'est qu'un mort parle. A ce scandale, les charognards ont répondu par la suspicion, la mesquinerie, la haine. Ils veulent que les morts soient les morts, que les prisonniers soient prisonniers, que les fous soient enfermés, que chacun reste à sa place.... Le jour où un mort parle, tout est subverti. Rien n'est aussi paradoxal que la parole d'un mort; rien n'est aussi insolite que la parole d'un fou ou d'un prisonnier. C'est pourquoi on fait taire les prisonniers, en écrasant leurs mutineries, et les fous, en les bourrant de médicaments. C'est pourquoi j'ai suscité un tel ressentiment... Un poète suicidé, ça doit resté pendu à son clou. Les morts avec les morts.
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J'ai le droit de parler des morts si je suis vivant, et j'ai le droit de parler des vivants, si je suis mort...
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Je ne suis personne... C'est pourquoi je peux parler au nom d'une multitude de gens écrasés... Je suis parmi eux, je suis de leur corps, je suis de leur chair... Encore une fois, ma plus grande satisfaction, c'est que mes poèmes aient rendu la parole à des gens qui étaient réduits au silence. Ma poésie a été réinventée par ceux qui l'ont lue, mise en scène, jouée."
Tristan Cabral
Extraits d’un entretien avec François Bott