Je n'ai besoin de rien

Publié le par la freniere

L

e coût de la vie augmente mais la vie diminue. Le rêve ne lime plus que la grisaille des jours. La tendresse perd au jeu parmi les dés pipés, les deuils, les rengaines, les promesses transformées en néant. Porté par le troupeau, l’homme se balade un portable à l’oreille comme une clarine de chèvre. Sur les visages que l’on masque, il n’y a plus de place pour laisser un baiser. Derrière les yeux baissés, des regards nous accusent. J’essuie toute cette merde  avec la peau d’un roi, la face d’un banquier, l’orgueil d’un soldat. J’écris avec mon œil de reptile qui remonte les siècles, le souvenir d’antennes qui me servaient de sonde. Je regarde avec mes mains. J’entends avec mes bras. Je parle avec mes gestes. Je suis terriblement vivant. Un ange bat des ailes entre mes omoplates.

         Le sang cogne à mes tempes. Je veux aller plus loin que ma langue tordue et faire les yeux doux à chaque fleur du monde. J’enfouis des mots d’amour dans un trou de silence. Il en sort des oiseaux, des cerfs-volants, des ballons, des phrases en bouquets de syllabes. Je sème des images dans le chaos des choses, des métaphores entre deux portes, des sparages luttant contre les clous du gel, des racines carrées explorant l’étendue. Je réveille d’un mot le ventre du silence, le merle qui retient le ciel dans sa voix, la trompette bouchée par le flux des portables. Je construis des châteaux en Espagne, des églises d’eau vive, des maisons de sable pour loger le bonheur. J’érige des châteaux de cartes, des temples de fougères, des palais de brindilles pour ne pas perdre espoir. Je laisse pendre mes jambes sur le bord des phrases. Même en pleine lumière, j’entends la nuit derrière la porte, les souvenirs qui bougent dans le fond des armoires.

         Je grimpe vers le ciel par une échelle de syllabes, l’escalier des phonèmes, l’ascenseur de l’âme. Une virgule s’évade de la prison de l’encre. Un chevreuil saute d’une phrase à l’autre. Tant qu’à passer sa vie à être un homme, autant essayer d’être bon. Je n’ai jamais pensé à construire un avenir. Je ne saurais même pas où trouver les outils, les matériaux, les plans. Je n’ai besoin de rien, l’infini me suffit. Une goutte de rosée peut devenir torrent. Un seul mot peut creuser jusqu’à l’inaccessible. Après deux semaines sans écrire, j’ai l’impression qu’on m’arrache le cœur. Je ne peux vivre sans prier, sans remercier les plantes, sans saluer l’oiseau, sans mordre dans la pomme, sans transcender la chair. En apprenant les mots, j’ai accepté les autres. J’ai ma réponse aux pierres, aux arbustes, aux rivières. Je recueille le vent sur la chair des mots. Tout ce qui est fini laisse place au possible. J’écris sans le vouloir mais sans pouvoir m’en empêcher. Que je suive un sentier ou arpente ma chambre, le moindre de mes pas fait un bruit de papier. On trouvera sous ma peau une rangée de livres que je m’apprête à lire, un bout de pain trop sec, une paupière impossible à fermer.

Publié dans Prose

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J
<br /> <br /> J'ai lu, mot à mot, et plutôt deux fois qu'une. Et maintenant je glisse ce commentaire. Tant, à chaque bordée de phrases qui jurent, tordant la langue, secouant les poudreries du verbe et<br /> de la matière, je ne sais pourquoi, le texte-brûlot de Jean Marc La Frenière, prend rarement ailleurs, comme on dit des reprises de feu, des graines que l'on sème sur les livres taillés à la<br /> hache, de tout ce qui génère le soleil des promesses...pour ne pas perdre espoir.    <br /> <br /> <br /> <br />