L'âme du vent

Publié le par la freniere

J’écoute l’âme du vent cogner contre le toit. Montant les phrases à cru, je galope du cœur. Je deviens un tilleul, une source, un chevreuil. Les fleurs agenouillées se lèvent et se donnent au soleil. Les branches tendent leurs fruits à la bouche de l’air. C’est au bord de l’instant que la matière prend des forces. Le papier blanc s’énerve sous les mots et les phrases tressaillent. Quelques voyelles changent l’air en oiseau, un blasphème en prière, une virgule en phalène, la laine des moutons en haleine sonore, l’ignorance en savoir. Les bras de l’air me prennent par la taille. Le vent avec ses grosses mains d’homme effarouche les blés. Il traîne sur le ciel une charrette de nuages. Il dépeigne les arbres. Il se cogne les pieds sur le tronc des érables. Le temps se racotille dans sa capuche de laine et bêle comme un mouton. De page en page, le sens déambule sous la doublure des mots.

 

 En vieillissant, les yeux s’usent et les bras s’accourcissent. Ils suffisent pourtant à voir de l’intérieur et quêter l’absolu. Entre les mots qui font grandir et ceux qui font mourir, il faut des mots d’amour. La vie se brise à tant de choses. Je me perds et me trouve entre les aventures du verbe aller, les voyages des l, la multiplication des p, les vraies couleurs du monde dans le noir de l’encre et la blancheur du papier. Je ne réponds de rien. Je questionne la soif. La marche où l’on hésite est celle que j’enjambe. Sur quels mystères, quels secrets pèsent donc les mots, les images invisibles dans la nuit double des paupières ? La vie nous fait bien plus que nous faisons les choses. Monde de pierre et de vent, de microbes et de graines, d’une poussière d’étoiles au blanc du cervelet, de la quête du feu à l’invention de la bombe, du silence des abysses à la musique de Bach, qu’on ait inventé l’alphabet m’étonnera toujours.

       

Bien avant que les bêtes n’apprennent à pleurer, l’enfant goûtait ses larmes. La promesse du feu survivra-t-elle aux cendres ? La montagne est plus légère que la bêtise de l’homme, le désespoir moins lourd que la morale des banques. L’éthique pèse peu face au cash mal acquis. Je vois la délation derrière chaque fenêtre. Dans le grand corps malade, les muscles du présent obéissent à l’argent. Il y a du soufre dans les yeux, du plomb dans l’aile, du sang sur les outils, des langues atrophiées par la publicité, des épines rougies dans la douceur des bras, des échines courbées par la douleur de Dieu, des cadavres qui pleurent à l’intérieur des yeux. J’entends la frénésie dans le silence des insectes. Je tire avec les mots une corde invisible menant à la bonté. Tout est possible encore face au manque premier, l’impossible et le rêve. Cela ne se laisse pas voir mais vibre au diapason du cœur. Tout est là, les fleurs, les amibes, les germes de l’espoir, la lumière entrevue dans la substance des paroles. Des mains tendues ouvrent les paupières des gestes. Je marche en titubant sur le fil du vivant. L’équilibre des mots m’empêche de tomber. Avoir pèse trop lourd dans l’âme inachevée de l’homme. Être n’est pas encore.

Publié dans Prose

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