La direction du temps

Publié le par la freniere


Il faut remplir de musique le bruit des molécules. Les pas dirigent l’espace, les battements du cœur la direction du temps. Les pages qui jaunissent dévoilent peu à peu la lumière des mots. Nul chemin ne mène aux rires des enfants. Il faut rire avec eux. Je porte la rumeur du vent, la résine du bois. Je puise l’eau du fleuve. Je regarde le ciel. Tout existe toujours pour la première fois. Je me renverse dans les mots sans savoir nager. Ce qu’on ne pense pas, j’y cherche mon chemin.

        

Si l’argent n’a pas d’odeur, il n’a pas plus de valeur face à l’audace d’une fleur. Je continue de vivre et je m’étonne encore. Je me raccroche d’un mot à la lisière du silence. Je vole avec les oiseaux. J’ajoute ma prière à celle de la pierre, ma parole au vertige, ma poussière au pollen. Je suis heureux quand je perds mon temps. Délaissant pour un temps le sale métier d’homme, j’y croise l’infini. Mes deux mains sur la nuque, je plie mes bras comme des branches. À défaut de pain, je veux que mes mots servent d’aliment pour ceux qui s’aiment.

        

Je suis à l’aise parmi les bêtes. Je le suis moins parmi les hommes. Quand on regarde les mêmes choses, je ne vois pas ce qu’ils recherchent. Je vois ce qui n’existe pas. Je ne vois pas ce qui meurt mais ce qui cherche à naître. Dans le bruit des moteurs, j’attends la note échappée des concerts. J’entends la colère du vent, la terre malade, le ciel en rogne.  On respire mal le matin en traversant le cimetière des journaux. Je ne tache plus mes doigts sur les mauvaises nouvelles. Je bois mon café froid assis sur une bûche.

        

À deux doigts de se taire, certains mots prennent vie. Ils sautent la clôture et griffent les oreilles. Ma phrase est un oiseau aux ailes mutilées, un perroquet sans voix, un appel anonyme aux abonnés absents. Je ne suis qu’un enfant perdu dans les années. Qui me rendra les billes qu’on m’a volées jadis ? Qui me rendra les mots que je ne savais pas ? Qui me rendra les pas que je n’aurai pas faits ? Je me blesse le coeur à me casser la tête. J’aurai vécu en poésie pour mourir en silence.


Les bébés du néant tètent la vie qu’on leur impose. Avec ses dents de requin, ses doigts sales, ses mensonges, l’argent n’a pas encore dévoré tout l’espoir.  Nous respirons encore. Nous cherchons des amis. Nous sifflons sans raison au passage des oies. La mer continue ses menstrues quotidiennes. Il y a encore des fous écrivant sur les murs, des robots qui défroquent et des ressorts de lit qui chantent le plaisir. L’amour, il faut s’y enfoncer, s’y perdre, s’y trouver, comme on fonce dans la vie. J’aime les pages blanches. J’y lance un os aux petits chiots des mots et les chiens morts se remettent à japper. J’entends même mon loup qui gratte à la fenêtre. Le cœur à hue, la tête à dia, les pieds ne savent plus sur quel air danser. Si c’est l’amour qui compte beaucoup plus que la haine, pourquoi tant de soldats, de barbelés, d’églises ? Quand la fanfare se tait, un oiseau vient chanter. Quand la cendre s’éteint, une racine repousse. La toile imaginaire que la nuit m’a tissée, je la ramende mot à mot quand l’odieux la déchire. Si la vie nous promène de prison en prison, je ne veux pas mourir sans en chercher la clef.

 


Publié dans Prose

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