La langue en province du corps

Publié le par la freniere

C’est si étrange de dire « je parle dans une langue »
quand la langue vous parle dans la bouche,
de constater que vos mots sans papier
sont toujours
les premiers étrangers à vous faire signe
en sémaphores.

 

C’est si étrange de vouloir écrire
ce qui n’est jamais gouvernable,
et de partir à la dérive, avec la phrase grêle, mutine,
précaire esquif,
la toujours jeune phrase étonnée,
comme deux corps en amour à la merci
du premier fleuve survenu,
si étrange de nous sentir à deux exister soudain,
agrandis d’un songe sur l’autre bord de l’océan.

 

S’en va la solitude à tête trop sage
d’hexagone,
s’en va en habits d’errante, sous chapeau d’insomnie,
pour défier les formes machinales.

 

Désormais, j’apprends
à te laisser crier par veine d’éphémère,
plaisir tanné, figure de soufi,
ma longue phrase dans ta spirale
échappée d’un continent vers l’autre.

 

Et je t’aime de vivre ainsi, disjointe rassemblée,
parce qu’une phrase nue
est toujours habillée de tous ses souvenirs.

 

Écoute-moi, toi l’étrangère à langue intime,
au moment de déformer à nouveau le miroir
pour t’en saisir, plus vraie.

 

Notre vœu hors d’atteinte loge ici
dans le sexe des branches
où brûle la pierre d’accordailles.

 

Nous, brûlant à contre-mots face à l’hégémonie fanée
des parler vides d’aéroport.

 

Nous, en nomades hagards
défiant les syntaxes trop soumises.

 

Nous sommes de ce peuple qui croit
à la gymnastique incendiaire des paroles,
aux trous à crabes du récit amoureux.

 

Ensemble, nous marchons ; parfois tu t’écartes
pour mieux mener ta vie,
nous avançons comme on récite ailleurs ces mots
qui nouent les doigts de l’écriture :
notre province saura toujours tirer la langue
à ceux qui voudraient l’oublier.

 

Dominique Sorrente

 

Publié dans Poésie du monde

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