La maison
Je dessine un cercle. J’ajoute quelques mots. Je suis dans ma maison. Une maison d’été. Une maison d’hiver. Une maison d’automne. Une maison de printemps. Une maison verbale. Je cours de l’une à l’autre. La vie entre par les portes. L’encre ruisselle sur les meubles. Je conjugue les images, les oiseaux, les figures. Je suis déjà ailleurs. Je regarde un marais, ses roseaux, ses grenouilles, ses libellules d’eau. Je respire le dehors par la bouche des mots. Les senteurs du sol m’apportent une lumière. J’essaie de correspondre avec les végétaux, les petites fleurs penchées, les nuages à contre-sens, les pommes qui mûrissent trop vite. Je réapprends l’intime. Le souffle de ma mère agite le feuillage. La plante de mes pieds accède à sa présence. La vie s’écoule entre l’exaltant et le banal. Orpailleur des mots, je drague les pépites dans les scories du quotidien. J’ai mes préférés parmi les arbres. Un vieil érable me fascine, un érable splendide sous son pelage de bourgeons, sa crinière rouge vif ou même les bras nus. Il est plus que centenaire. Il est toujours très droit. Ce qui est le plus beau est toujours le plus simple. De son ombre une lumière émane. Je lis du Bachelard appuyé sur son tronc.
Je me méfie de ceux qui promettent le bonheur. Toute la musique repose sur les silences. Ce qui arrive est toujours plus beau qu’on ne le croit, ou pire. Je ne me déplace plus qu’en bottes, en chemise, en voyelles, en syllabes. Le métronome de ma main bat la mesure des gestes. Je croise des geais bleus parmi la foule verte, des écureuils roux, des chevreuils en colère à la saison de la chasse. Le paysage tout entier ressemble à un visage d’homme. Des bouleaux poivre et sel parsèment la colline comme des poils au menton. Pour monter jusque là, je prends d’abord la rue, la route, le sentier. Arrivé tout au bout, je marche sur un fil. Je dois peser mes mots pour garder l’équilibre. Est-ce le paysage qui change ou le regard ? Probablement les deux à la fois. Nous ne sommes vraiment jamais où nous sommes. Toujours en retard d’un mot, d’un geste, d’une pensée. Dans la marche ou le chant, c’est d’abord l’oreille qui maintient l’équilibre. J’écoute la main du vent caresser les rochers.
Je traverse une érablière. Les arbres parlent. J’essaie d’entendre ce qu’ils disent. Ils sont en grande conversation. Un petit saule tend l’oreille même sans comprendre la langue des érables. Ils parlent des saisons, de la bêtise de l’homme, du temps de plus en plus mauvais, de la sève à payer pour éviter la hache. Parlant de rien et tout, je finis par trouver quelque chose, une image délavée, le sang d’une métaphore sur la blessure du monde, une épine verbale gratouillant la cervelle, une girouette posée sur la pointe du vent. J’ai beau grandir, le monde reste plus grand que moi. Un cœur sans écho ne pulse que le vide. Je continue d’écrire parmi l’herbe et la ronce. Chaque nouveau pas fait trébucher la route. Les mots que l’on écrit sont rarement les bons. Alors je continue, de la mine à la phrase, du silence à la bouche. Tout sert d’appui pour soutenir les mots. Je rassemble mes gestes en forme de caresse. Une eau roucoule dans son rêve de mer. Il faut mettre du bleu dans la matière grise, des brins d’herbe mouillés, une poignée de sel, toute une bibliothèque au fond des yeux. Lorsque l’éternité fait signe, je me fous des jours à étiquette, des congés payés, des horaires. Quand les nuages palpitent, face à face avec cent mille étoiles, je ne sais plus où regarder, mais j’apprends à prier.