La violence et l'argent
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a violence et l’argent ont perforé l’espoir, dilapidé le potentiel du rêve. Il y a trop de sourds au milieu de la parole. Nous ne savons plus qui nous sommes. Devant l’échec de l’avoir, la question se pose plus que jamais : to be or not to be. Il faut rendre à la terre ce qui lui appartient, rendre à l’homme son âme. Je poursuis ma route jusqu’à la fin des phrases. Chaque mot que j’écris aimante l’horizon. Je suis resté un écolier rebelle, un rêveur qui s’éveille dans un lieu inconnu. J’aurai toujours marché à côté du trottoir, cherchant à être qui je suis, un peu de rêve dans les souliers. Le soleil a beau nous acclamer, le gel nous récuse. Le temps persiste contre la montre en brouillant les horaires. Les clôtures à neige n’arrêtent pas le soleil ni ses atomes de lumière. Je regarde les arbres comme si c’était ma main. Les doigts du vent pianotent sur ma peau. Un oiseau affranchi de son nid s’égare dans son vol. La croissance des feuilles est fidèle aux racines.
Quand je ferme le livre, je dors avec les mots. De nouvelles phrases m’éveillent à chaque fois que je rêve parmi les draps mouillés de lettres. Des herbes marchent dans ma tête. Les mots plus pesants que la bouche s’envolent du néant. Si toute chose doit avoir une fin aussi bien commencer par là, trouver la route derrière la route, l’infini sur la table, la mer entre les pages, de l’encre dans les choses, de l’amour dans l’homme. Si le temps change, ma langue sera le vent, la pluie, la neige. Mes mots seront la main, le marteau, le baiser. Mes phrases seront la terre, la rivière, le ciel. J’avance comme une eau cherchant de l’eau. Lorsque la mer est calme, aucun port ne retient le marin. Il faut faire avec peu ce que fait une graine, une source, une main, non pour le vendre mais pour le vivre. Il ne faut pas faire une route à partir de la roue mais méditer chaque pas. Il ne s’agit pas de savoir où aller mais d’apprendre à voir. Il ne s’agit pas non plus de copier les clefs mais d’ouvrir les portes.
Est-il déjà trop tard ? Chaque jour, des espèces d’insectes disparaissent. Des milliards d’oiseaux sont tristes. Il n’y a pas que les oiseaux. Il fait mal de vivre à voir le monde se tuer, entendre la parole humaine se remplir de chiffres. Il est difficile d’être un homme parmi les hommes, entre la haine et la finance, alors que le sang épouse la poussière et que les eaux de la tendresse deviennent glace vive. Pour de la poudre aux yeux, nous quittons notre peau comme on rend la monnaie. Chaque sourire se paie d’une grimace. La parole des hommes n’est plus qu’une musique aux oreilles cassées. Lorsque mes pieds boudent la route, je prends la mer sur un voilier d’outardes. Il n’est jamais trop tard pour se mettre debout. Le matin va venir. La rivière frileuse étire ses biceps. Les rires des poissons d’avril vont diluer la neige. Les collines gonflées d’eau dressent leurs mamelons. L’herbe repousse sur les tombes. Le vent dépose le duvet d’un sourire sur le visage de la pierre. Semer, croître, éclore, les verbes chauds se lèvent sur la terre des pages. Les jours de mort s’amusent avec les jours de vie. Un enfant bouge au ventre de ma fille. Le soleil sur l’épaule, j’écoute la rumeur du fleuve, le froissis des alentours, le vol des outardes, le cri des glaces dans la débâcle. J’accueille l’espérance un peu plus chaque jour. Le même soleil qui fait de l’ombre écarquille les yeux. Je regarde le monde par l’œil fou de la flamme.
Mars brumasse encore chaussé de neige. La terre peu à peu ouvre ses yeux d’avoine. Mes espadrilles attendent à côté des raquettes. L’espérance du monde n’est pas sur les sentiers battus. Je dois trouver mes mots pour retrouver mes mains, aborder le silence comme on hèle un ami. Je suis de ceux qui viennent ensemencer la vie. Des larmes d’enfant coulent sur mes joues barbouillées de passé. Le temps manque d’espace pour agrandir le cœur. Je n’ai pas trouvé le pain de la journée mais j’apprends à chanter avec des mots nouveaux. Sans feu ni lieu, je m’attelle quand même à la tâche d’aimer. Toute la beauté du monde a mal de se taire. La fleur sur sa tige fait des signes à la pluie. Le matin penche la tête pour boire la rosée. Avril fait sa cour dans un éclair de cuisse. J’épouse la parole du regard des doigts. Fuyant la nasse des mensonges, chaque nouveau poème est un poisson sauvé des eaux, un oiseau qui s’envole. Un matin d’hommes ouverts se lève sur la page.