Le coeur de vivre n'a pas d'âge

Publié le par la freniere

Les poches du rêve sont trouées par le poids des monnaies. Il y a trop de choses cassées dans l’armoire du cœur, d’amours trahis, d’espoirs émasculés, de meurtres domestiques, trop de banquiers, de commis d’antichambre carburant à la peur, de magouilleurs d’âme. On embouteille déjà les dernières gorgées d’eau. La forêt perd son ombre aux dents des débusqueuses. Lorsque les arbres tombent, le ciel s’alourdit du vol des oiseaux. Qui accueillera les merles chassés par l’ouragan ? Des animaux nous croisent avec des regards d’homme. De ce qui fut un arbre, on garde l’historique sans prévoir les feuilles. J’écris par pis allé. La musique allège toute chose. Il est pesant de soulever le monde avec des mots. Je suis comme à l’étroit dans un chagrin d’enfant. Chacun porte l’avenir avec les os d’Adam. Un fil prêt à se rompre nous relie l’un à l’autre. Un écureuil s’amuse à imiter les feuilles. La tête de l’homme disparaît dans ses mains comme un érable dans ses branches, les doigts noueux d’avoir donné des fruits. Même si l’horizon garde un pied sur la porte, formuler son espoir n’empêche pas de vieillir.

        

Il y a vingt-cinq millions d’années, environ vers seize heures quinze, naissait le Mont St-Hilaire. Des millénaires plus tard, j’y ai passé mon enfance. Il m’en reste sur le cœur une cicatrice minérale. Il a tellement neigé, cet hiver, que l’eau ne chante plus dans les fossés mais beugle comme une vache espagnole. On ne fait pas son beurre quand le yable est aux vaches. Quand le soleil passe la main à travers les murailles, je  m’accroche à chaque doigt de chaleur. Tous mes rêves d’enfant frappent encore à la porte et m’invitent à la vie. J’attends ce qui commence. L’horizon tient debout le soleil à bout de bras. Mon sang bat la chamade dans le cœur chaud d’une femme. Elle tient mon âme à bras le corps. Pourquoi tendre le poing quand on peut s’embrasser ? Mes os couchés sur du papier cherchent la chair des mots. Ce matin, les feuilles dans le vent, les vagues sur le lac ont le sourire de ma mère. Toute âme est en danger dans les bras de la vie. La réalité est plus courte que le rêve. J’attends une révélation à chaque bout de la route. À défaut de compter des pieds, je veux des mains au bout des mots. Je serai toujours un débutant.

        

On a rapetissé l’absolu. On prie toujours les dieux à la même heure. Le monde n’est plus une foire aux questions mais un immense bazar. On vend de tout, des larmes, des sourires, des visages à deux faces, même des reins, des rates, des échines courbées. Ce n’est pas vrai que les bons vivants font de mauvais morts. Ils continuent d’aimer bien au-delà du corps. Ma mère, quand j’ai mal, me caresse avec le vent. Je n’ai qu’à lui parler à travers l’herbe, les arbres, les nuages. Les oiseaux haussent le ton un peu plus chacun matin. Mes textes sont parfois une herboristerie où s’alignent les fioles avec les sachets, une pincée d’images, une volée d’oiseaux. Je touche l’eau du lac sans plonger dans son rêve. Je ne voyage plus que d’une page à l’autre. Assis au cimetière, je note des petits riens, des humeurs, des phrases, le bavardage des voisins, les diastoles de l’air, les petits pieds de l’herbe trébuchant de plaisir, le soleil filtrant ses vitamines à travers le feuillage. Le papillon bientôt sortira du cocon. Pour le moment, le noir émulsionne ses ailes. La mort au fond du corps est une chrysalide attendant son éveil. Le temps racle en sourdine une conque infinie.

Publié dans Prose

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