Le poids du monde

Publié le par la freniere

Ne me parlez plus d’économie. La vie est une affaire à fonds perdus. Elle se moque du profit. Il n’y a plus d’Indiens au pays des Comanches. Ils errent dans les villes, une bouteille à la main, les veines tailladées par des miroirs de toc. Il n’y a plus de files indiennes ni de signaux de fumée dans le cercle des Braves. Il n’y a plus de pas sur les axes routiers, plus d’espoir dans les chiffres, plus de plumes grinçant sur du papier vergé mais des roulements à bille sur du papier glacé. Il n’y a plus de sève sous l’écorce des arbres, plus d’épaules à la roue, plus de morsures d’enfant sur des jouets de bois, plus d’accolades, plus de troc, plus de poignées de main mais une poignée de monnaie. Il n’y a plus d’échardes mais deux bras en écharpe au corps blessé du monde, des âmes en charpie, des cœurs en bataille, des regards en chicane qui louchent vers le vide. Il n’y a plus d’oiseaux sur les fils barbelés mais des mains éraflées, plus de carte du tendre mais des cartes de crédit. Il n’y a plus de phares pour les vaisseaux fantômes mais des phares d’auto éblouissant les fées et fracassant les anges. Il n’y a plus de silence au milieu des forêts mais des bruits de moteur étourdissant les bêtes, plus de craie au tableau, plus d’ardoise au comptoir, plus de mine au crayon, plus de biches aux abois mais des postes à péage. Il n’y a plus de réponse aux abonnés absents mais des bip sonores, plus de rose des vents mais des panneaux réclame, plus de questions d’éthique mais des réponses toutes faites, plus de paroles de sages mais des mots vides de sens. Il y a plus de paperasse à signer que de choses à écrire, plus de mazout sur la plage que de châteaux de sable, plus de coureurs de dot que de filles à marier. Il n’y a plus de coucous qui apportent la chance mais des pigeons ternis par les roulettes de jeu. Il n’y a plus de squares habillés d’herbes folles mais des blocs en ciment sans un coin de verdure. Il n’y a plus d’avoine pour les chevaux du rêve mais des postes d’essence, plus de bateaux de papier ni de canards boiteux sur les étangs gelés. Il n’y a plus de gargouilles mais des écrans géants hantés par des zombies. C’est peu dire que ça rouille dans les parcs à autos, que ça grouille de rats, que ça mouille son froc dans les quartiers de riches. Les requins de la finance déciment les baleines et dévastent la mer. Les mains sales du fric changent le corps de l’eau pour le cours de la Bourse. La sève nous renie à chaque arbre qu’on coupe sans reboiser la terre. Les plus frêles épaules portent le poids du monde.

Publié dans Prose

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