Le premier jour

Publié le par la freniere

Mon père était chinois vert. Ma mère bamboula.

J'ai vécu des heures hors du temps dans une léproserie, au milieu des roseaux noirs, sur les terres d'Héliogabale. Mon nom je ne sais plus,

je me souviens seulement qu'il était long et sale comme ces guenilles qui contiennent les membres détachables des atteints.

Et je criais et je vomissais.

- "Tout a une fin" disaient les prêtres aux marches de l'aurore.

Tout a commencé pourtant ce jour où les papillons étaient des yeux immenses qui captaient le ciel et les eaux de l'infini où se miraient les douleurs des hommes. Tout a vraiment commencé au bord du trou, ce seul trou gigantesque et fou et béant de lèvres moites et de vers luisants grouillants sous mes pieds.

J'étais devenu Lam, l'être nouveau, le splendide innocent ignorant de l'histoire passée, étranger en mon âme détruite, oublié du sel comme du vin, seul au monde, seul.

Lam, c'était avant tout un son qui résonnait sous mes pas, à chaque enjambée que je faisais pour m'éloigner du vide.

Je rentrais tête basse et des violons plein le crâne, les yeux brumeux,

le ventre brûlant de mille regrets. Vers la maison, ma maison, un lent retour à la réalité sociale, sordide et flasque, un réel admis à contre-cœur.

J'étais un pauvre gars en campagne, balayant les genêts, insensible aux abois des meutes lointaines, un gars perdu, fourbu, c'est ce que j'étais devenu.

L'imaginaire comme un trou, la vie comme un vide gavé à craquer de soupirs, de vagissements, d'éclats de voix mauvaises, de caresses absurdes, d'esprits fétides, de pluies en abondance, de nuits errantes, de soleils déchus.

Je n'étais plus et n'avais d'ailleurs jamais été.

Rien qu'un numéro quelque part, à la Sécu, un dossier aux impôts, un matricule, une référence quelconque pour des bureaucrates quelconques œuvrant au Grand Registre des Crimes et Châtiments, à la dernière page du Livre des Morts, aux lignes asséchées.

J'avais cinquante ans, d'après mes contemporains.

Mais il était clair pour moi que ces cinquante années n'étaient rien d'autre que le premier jour de ma naissance solaire. Un paradis à venir, un enfer à consommer, une idiote somme de soifs étranges et plombées, de malaises fictifs, d'abjects relents ?

Ainsi devait être le fil des nouveaux jours qu'il me faudrait désormais défiler lentement comme on vide un verre de whisky, en sirotant ses remords, "roman sans cesse médité".

 

Dominique Corriéras

 

 

Publié dans Poésie du monde

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