Le privilège du pauvre

Publié le par la freniere

Les promesses des marins sont solubles dans l’eau. Elles sont le sel de la mer, et celles qui attendent en mettent dans leur bain. C’est dire tout ce qu’ils ont promis, tout ce qu’ils ont quitté. Ils vont de port en port comme on noie le chagrin. Sur la terre, les promesses proviennent des saisons et elles tiennent parole. Où aller quand on connaît la route ? Il faut d’abord se perdre pour se trouver. Quand le pain est mauvais, on accuse le blé. Qui accuser quand l’homme fait le mal ? En écoutant les autres, c’est d’abord soi-même qu’on écoute. Plus on parle de soi, plus les autres apparaissent. On n’écrit pas pour un lecteur. On écrit avec lui. On dialogue avec les choses. J’aime le geste d’écrire. C’est l’un des rares privilèges du pauvre, comme celui de rêver.

        

Il n’y a rien à situer. Tout se passe partout. S’il y a toujours une seconde qui cloche, ce n’est jamais celle du glas. Un tocsin tinte à toute heure. Ceux qui sèment avec des gants, croient-ils récolter des épines ? Et ceux qui n’aiment qu’un moment, croient-ils avoir aimé ? Le présent n’est jamais au présent très longtemps. Je préfère inventer. C’est quand elle sort du cadre que la peinture m’éblouit. Toutes les idéologies sont un musée Grévin. On astique le passé avec des idées de cire. On écrit toujours dans le noir. L’ombre de l’homme est celle d’Hiroshima. Ce n’est pas la terre qui mérite des ruines, c’est l’indifférence des nantis. Plus le vice est gros, plus il est acceptable. Je ne crois plus à la bonté de l’homme, à la mienne encore moins. De l’Ancien Testament au cinématographe, on n’a fait aucun pas vers le mieux. On a remplacé l’éthique par la trique. Ici, dans la région, que faire de nos enfants, nos animaux nos plantes, quand la seule culture est le sniffage d’exhaust et de bobettes, quand la seule religion est celle des pépines et des billets de loterie. Le jour des élections, on nous prend tous pour des imbéciles, et c’est avec raison.

        

Je ne comprends pas les jeunes qui ont peur de ne pas se faire une place chez les adultes. Arrangez ça comme vous voulez, le rêve est plus sérieux que la réalité. L’ordre établi, c’est le désordre mal établi. J’ai toujours cru que la misère nous rendait meilleur. C’est à peine vrai. Il y a partout des chiens qui mordent sans raison. La beauté, la bonté, doivent souvent se cacher, mais ce qui se cache n’est pas absent. Les plus lucides se cachent avec elles. La vie moderne n’aime pas ce qui prend du temps. Il faut pourtant du temps pour apprendre à s’aimer. Du train où vont les choses, il déraille de partout, il serait temps d’arrêter le progrès, l’oublier dans une gare sous une pile de revues. Quel bonheur de quitter la grande ville pour s’installer dans un trou. Un trou, parmi le vide, c’est plein de vie. Les bêtes y ont encore une place. Mais jusqu’à quand ? Le pire n’est-il pas déjà fait ? Quand un chevreuil me salue, je remercie le ciel. Être vraiment là est rare. Il faut savoir en profiter.

Publié dans Prose

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