Le rincage

Publié le par la freniere

Plus ils torturent la langue, plus ils mentalisent, plus je m'éloigne de cet état qui se veut plus intelligent que l'âme. Chaque rentrée littéraire porte son fardeau d'inepties, de poudre aux yeux, se vautre dans un blabla intellectuel dont l'égotisme est forcené. Bientôt il faudra un sous-titrage de plusieurs pages pour donner sens aux élucubrations d'un art qui a bradé sa vocation d'être pour le verbiage du paraître. Une nausée me prend devant les échafaudages des syntaxes abracadabrantes, les puits sans fond de la pensée virtuelle qui ne sait plus donner à naître ! C'est à qui contorsionnera le mieux le verbe, lui donnera la forme la plus incompréhensible, le sens le plus elliptique, le fond le plus abscons. Par ce mirage réflexif, le mandarin tient en otage le lecteur. Ses mots organisés mystérieusement, dangereusement, aléatoirement, créent l'illusion dans toute sa limite. De ce fatras poétique cérébral, le contenu s'est enfui. Il est parti respirer ailleurs. La merveille est loin des effets de manche. Pourtant, parfois un livre approche le sublime sans jeux ni artefacts, par son talent, sa personnalité juste, il bouleverse, touche à l'intime essentiel. Et c'est le rinçage de la pensée, l'absolue émotion, la poésie révélée. Ce matin j'ai vu un oiseau se laver dans une flaque d'eau. Son application atavique délivrait cette poésie plus réelle que toutes les distorsions mentales. Loin des cénacles, l'or de la lumière défie la pensée le geste et l'écriture d'une présence qui ne se sait pas mais qui irrigue comme un sang.

 

Ile Eniger - Le raisin des ours - (à paraître)

Publié dans Ile Eniger

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article