Le vrai du faux
Que restera-t-il de l’homme pour justifier sa présence ? Les bungalows en ligne ne comblent pas le vide du paysage. La chlorophylle des néons opprime la rétine et l’oxyde de carbone draine le fond des poumons. Une vague d’antennes pointe vers un fantôme de soleil. Les arbres tendent l’oreille en vain. Le tintamarre des klaxons a fait fuir les oiseaux. Quelques jardins, de ci de là, servent d’eden résiduel. Le tissu conjonctif des pelouses ne retient que le vide. Les fontaines en plastique se refusent de boire à la source. Si les enfants rient trop, le Ritalin ligote leur excès de vigueur. On les éduque pour être nains de jardin ou petits singes savants. Les autos s’agenouillent dans les stations service pour communier à cette hostie liquide qu’est l’essence. Devant l’inanité des banlieues, seuls les cimetières serviront d’artefacts.
C’est dans la foule que la solitude se manifeste avec le plus d’acuité. Les ombres se piétinent et les regards se fuient. Deux aveugles qui se croisent ne se heurtent jamais. Ils sont à l’écoute l’un de l’autre. Deux voyants cognent leur ombre. Ils ne regardent qu’eux-mêmes. Le lac de Lamartine est un mouchoir de poche si on le compare à l’océan audio-visuel où se noie le présent. La bouée de l’âme n’y sert plus à rien. La pensée coule sous le poids des réclames et le plancher s’écroule sous les bottes de police. Chacun est devenu le Big Brother de l’autre. Des yeux de délation dévisagent l’amour. On ne distingue plus le vrai du faux, Dufaux, Dupire, Lemieux, Lepire, Leblanc, Lenoir, Lafleur et Lespérance, le visage du masque. À qui se fier lorsque Lacharité est le nom d’un banquier, Lepitre un notaire, Petit une armoire à glace et Latendresse un policier ? On prend son habit pour sa peau, son compte en banque pour le cœur, le pharmacien pour un ami et le vendeur pour un prophète. On prend l’hôtel pour le voyage et les clients pour des valises. On prend les armes pour prier et le fusil pour un chapelet.
La ville, avec ses milliers d’atomes humains que rien ne relie vraiment, finit par déborder sur la banlieue où elle se perd dans l’insignifiance. On ne vit plus dans un espace temporel mais monétaire. Time is money. La densité du vécu a moins d’importance que l’épaisseur du portefeuille. On se laisse porter par l’apparence sans poser de question. La morale sera toujours celle du plus fort. L'absence d'éthique a fini par corrompre la démocratie. La société n’a pas besoin de morale mais d’éthique. Commençons par liquider l’argent, les drapeaux, les oripeaux d’église. Le mur des lamentations est celui qui sépare les larmes de chacun. Pourtant, de chaque côté du mur, c’est le même homme qui pleure. Peu importe la langue, le rêve, les habits, c’est le même cœur qui bat. On ne pourrait pas vivre sans mélanger nos sangs. Il ne resterait plus que des dégénérés, des Lepen, des Sarkozy, des Bush, des Harper, des dictateurs, des papes, des rabbins et des ayatollahs.