Les chiens rêvent à genoux
Dans le chenil des églises, les chiens rêvent à genoux. Ils ne flairent plus qu’à peine les tatouages des odeurs. Que ferons-nous des mots quand ils ne seront plus que des egos sans tripes, des sparages numériques. Les mains impalpables des arbres accueillent les oiseaux. Je m’y raccroche comme à l’amour, la poésie, la vie réelle, l’intelligence des racines. Petit, je mâchonnais des perles de résine, ces trompe-la-faim ressuant des épines. Durant les nuits d’orage, anges et bêtes s’invectivent. La lumière s’insinue par les failles de l’ombre. Toutes les feuilles scintillent quand l’averse s’y met. Le ciel déroule ses épluchures de nuages. Tout frissonne, tout palpite, tout croît. La gloutonnerie du vivant n’a cure des obstacles. Ni les curés ni la curée ne viennent à bout des ronces, ces emblèmes rebelles. Aucune goutte d’eau n’est pareille. Les parfums se conjuguent dans la biographie des odeurs. Un grand cœur végétal, placenta planétaire ou ventre des étoiles, fait battre la chamade.
Un jour ou l’autre, de fadaise en foutaise, tout s’éparpille dans le cerveau. Les souvenirs macèrent dans la saumure du temps. Ce nuage qui passe, ce pourrait être un ange, ou même une âme. Mes yeux s’attardent à l’attraper. Élaguant le silence, à l’instar des semeurs d’étoiles ou des jeteurs de sorts, je jardine l’indicible. Parmi les fleurs sauvages et les légumes stériles, la terre empoisonnée et les jardins de ruine, il faut sauver ce qui vit. Un berceau d’herbes et de pétales agite la rosée. La voix du monde dévale à travers mon gosier. J’en ramasse des gouttes. Mes lettres boitent dans l’alphabet des vagabonds. Quand on marche sur la tête, il faut croire à ses pieds.
Les éteules, ce matin, ont la tête ballante, la peau cendrée de la mort. Elles se sont débattues toute la nuit avec les rêves du vent, les cauchemars d’un orage. La vie, en reculant, montre son vrai visage. Elle pue toujours un peu de l’entrejambes. On ne dit plus je t’aime, on tweete un petit cœur. On refoule les «t’as des beaux yeux, tu sais !» sous des sornettes de foire. La vie n’est pas tout à fait droite. Les bras sont continus aux arbres. Les lèvres se rejoignent dans la douceur des fruits et l’amertume du café. Les pieds prolongent les sentiers. Dans l’escalier commun, chacun porte sa marche.
Même sous la pluie, les pierres pleurent sans larmes. Les ombres brillent sans lumière. Je partage le monde en signes alphabétiques. L’espace est la réponse où tournent les questions, ni justes ni injustes, mais rebelles aux barreaux. Lorsque la langue nous sépare, la peau nous unit. J’avance comme un aveugle quand mon crayon s’arrête. Lorsque les mots se changent en air, le vent porte ma voix. Quand le pain s’ouvre sous la bouche, j’en mâchonne les mots. De mes radeaux d’enfant à mes bateaux de papier, j’ai traversé bien des mers intérieures. À la poursuite des signes voyageurs, j’ai pagayé de nuage en nuage avec la chasse-galerie. J’ai joué du feu, de l’air et de l’appeau. J’ai tatoué d’étoiles la peau du paysage. Chaque matin, il y a des mots nouveaux sous l’oreiller. Ils me réveillent et me redressent l’âme. Un sens nouveau s’échappe des lumières pour éclairer la vie. Il y a dans la durée de celui qui s’en va quelque chose qui reste.