Les mots ont un visage

Publié le par la freniere

 

L’ambition d’être tout rend le néant possible. Coûte que coûte, je dois gagner mes mots, le droit de vivre ma parole, la vie plus forte que la vie. Les mots ont un visage. Les syllabes ont un cœur. Qu’un fleuve s’évapore, une source le refait. Chaque nouvelle phrase m’apprend mon ignorance. Chaque pas est plus grand que la route. Il y a des routes qui s’érigent en murs. D’autres s’ouvrent vers ailleurs.  Des chemins sont pesants et d’autres sont légers où nous allons tour à tour en épaves ou en îles promises. Le bois des mots porte à la fois le feu et la fumée, la cendre et le brasier. Le moindre sentiment en est le tisonnier. La sève intemporelle des saisons traverse la parole avec une force verticale. Il faut savoir aimer les hommes pour les vilipender. La vie est toujours en retard d’une vie. La mort seule nous rend contemporains. L’éphémère s’efface devant l’éternité. L’au-delà n’est pas loin mais ici. L’infime est infini. Chaque geste s’inscrit dans un mouvement de l’être.

Quand les hommes cessent d’aimer, les arbres sont inquiets. Les oiseaux volent plus bas. Je reconnais ma voix dans le frisson de l’herbe. Je veux que nos enfants partagent la bonté, non la haine et l’orgueil. Si on ne laisse que du papier, que ce soit des poèmes ou des lettres d’amour. Je ne veux pas nommer le feu sous la forme des cendres mais rallumer la mèche, entretenir la flamme. Il neige sur la page comme une encre invisible. Le blanc typographique vient remplacer le et. Chaque parcelle participe d’un tout sans cesser d’être unique. Chaque mot est comme une saxifrage sur la pierre du sens. Des images conjointes éclairent l’écriture. Aucun poème ne transforme la vie. Il n’en est qu’un fragment. Il ne s’agit pas de contredire la haine mais d’affirmer l’amour.

J’ai soif d’alphabet sur une page blanche. Qu’importe que les fruits alourdissent la branche s’ils allègent la faim. Lorsque le pain vient à manquer, il faut le partager. Je reviens à l’enfance comme un peu de rosée sur le pointu des ronces. Je reviens à l’enfance non pour fuir le temps mais conjoindre les pas. Je reviens à l’enfance comme on revient de loin, comme on ouvre la porte. Tant de lumière veut passer de la sève à l’écorce, de la pierre au soleil. Tant de vide veut connaître la plénitude de l’âme. Ce qui est loin n’est pas moins vrai que la main que l’on touche. Les mots sont des aimants dans la ferraille du monde.

Mille secrets sont à l’œuvre sous la membrane de l’air. L’appétit est partout, de la pierre à la plante. Les fleurs poussent plus vite dans l’entourage des tombes. Un insecte s’acharne à consulter la terre. Le brin d’herbe qui penche cherche l’éternité. Le vent sur la corniche fait des sauts de pluvier. À l’insu du soleil, le tournesol imite la prière des blés. La chair des métaphores a besoin de la pluie et de l’intelligence des racines. La pensée est partout, du respir des étoiles jusqu’aux ramiers en fleurs. Le mouvement des atomes peut tenir lieu de verbe. La vie tient du miracle quand le lichen baise la pierre. Toute la matière pour être se conjugue à l’espoir.


 

Publié dans Prose

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