Les petits bruits

Publié le par la freniere

Q

uand le silence se fait, les petits bruits commencent. Le frigidaire hoquète. Le lavabo se gargarise. La plomberie fait des rots. Même la lune grince des dents. Je commence à écrire. Les clics de l’ordinateur se mêlent au bourdonnement d’oreille. J’entends les cheveux pousser, les larmes des oignons, les rires du pinceau dans le noir du tableau, l’etcetera râler à la fin d’une liste, la penture des phrases faire grincer la page. J’écris le mot fromage et la souris mange les lettres. C’est avec mes pieds que je traverse l’écriture. Je voyage en parole avec des phrases en cuir desquamé. Sur le chemin qui mène de l’enfance à l’adulte, de l’homme à l’hommerie, j’ai parfois honte pour chacun. J’ai toujours deux ou trois graines dans le fond de ma poche. Autant dire une forêt tout entière, le blé, le pain et l’appétit. J’ai aussi un crayon à la main. Autant dire la terre, le cosmos, l’infini. Quand on a le soleil, c’est la lune qu’on veut. Quand un banquier rentre au bureau, il laisse son cœur dehors et sa tête au vestiaire. Il met sa gueule de sous noir et ses mains de voleur. Je ne veux pas la réussite mais la vie, l’odeur du buis, celle du bois, des bleuets, une fée. Les arbres, les étoiles, les oiseaux ont raison. Je n’ai que l’espérance de m’en faire des amis.

         Quand vient le froid des sentiments avec sa pluie de chiffres, je me réfugie dans la baraque du cœur. Ses vieilles planches me réchauffent. Je fais un feu avec des riens, des syllabes, des rêves. Je laisse passer le temps, ses heures à voile, ses semaines à roulettes, ces mois qui marchent à peine, ces années qui s’étiolent. Il y a même des jours où le temps ne passe pas. Il  lui arrive d’être à bout de souffle. D’une oreille à l’autre, on n’entend pas le même son de cloche. Le son du glas pour un tueur est une forme de prière. On n’est jamais le premier à savoir qu’on existe. La vie est drôlement faite : deux kilos de bonheur pour une tonne de malheur, un petit pois d’espoir pour une montagne de peur. Le dérisoire me passionne tout autant que le beau. Il y a de l’absolu partout, dans l’ascèse et l’excès, dans la tête et le cœur, dans l’encre et le papier. Lorsque j’invente un personnage, il m’arrive de le rencontrer. Il n’y est pas, je le sais, mais on ne sait jamais. Les mots sont plus forts que nous. Avec eux, on peut se mettre à cheval sur une étoile et retrouver la mer dans une coquille de noix.

Publié dans Prose

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
<br /> <br /> Comprenne qui pourra.<br /> <br /> <br /> Qui voudra bien ne pas se contenter de la lecture d'un poème sans reverser sa part de vérité à la simple vie.<br /> <br /> <br /> Celle qui ne confond pas cruauté avec amitié, fouet avec caresse, mot avec précipice, folie avec sagesse.<br /> <br /> <br /> Comprenne qui voudra.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br />