Les racines s'accrochent

Publié le par la freniere

Le petit vent joue au dur ce matin. Il se chamaille avec les feuilles et retire la chaleur des choses. Il donne froid dans le dos. Dans une aréna, chaque  but est suivi d’une rumeur énorme. On crie moins fort contre la guerre et la famine. On ment pour un billet de banque. On vend son âme pour du travail. On dénature l’espérance pour des billets de loterie. Les souliers de l’âme ont égaré leurs pas. Ce matin, les mercenaires de la pépine ont commencé le massacre. La forêt ne se résigne pas à l’abattis. Ses bourgeons poussent encore. Ses racines s’accrochent. On doit dynamiter jusqu’au cœur des montagnes. Les gnomes et les fées fait un bed-in en pyjama. Les ratons laveurs applaudissent et les écureuils font la roue. Même avec des ailes, je continuerais de marcher. Je vole en écrivant. Toute prière est une façon de voler. J’écoute les insectes qui répondent au soleil, les arbres qui bourgeonnent, les pierres qui bougonnent. En dormant, je parle toutes les langues. Au matin, il me faut les traduire en gestes. J’avance à coups de patte dans la forêt des mots. Je m’accroche aux lignes tendues des phrases, aux nerfs des images, aux muscles de la voix. Des viscères de ma mère à mon habit de vie, je n’ai jamais cessé de chercher la lumière.

 

 L’espoir porté pâle déserte l’horizon.  Je ne sais plus quelles ficelles agitent la marionnette humaine. Elle prend pour un progrès la déchéance du monde. Notre langue se vide au fil des textos. Notre âme s’anémie sous le papier monnaie. Notre pensée se perd au fil des opinions. Il n’y a plus de sages mais des faux jeunes séniles. Il n’y a plus d’enfants mais des écrans géants. La vie ne suffit plus à ceux qui la spolient. Ils refusent la terre et craignent les caresses. Lorsque l’absence remplit tout, mon ombre cherche la lumière, des bourrelets de chair jusqu’aux plis des vêtements. J’écris le torse nu sur une table en bois, en face d’un pommier. Je vole un peu de sève à tout ce qui m’entoure, un peu de sang, un peu d’azur.

 

Dans les hauteurs du village, des bétonneuses vont et viennent, déféquant sans vergogne sur la litière végétale. Les arbres tombent sous les muscles d’acier. La terre est au plus mal. Les lièvres se terrent. Devant leurs nids détruits, les hirondelles tournent en rond comme des buses à l’affût. Les loups hurlent à la lune à toute heure du jour. Les écureuils fous sont sérieux comme des papes. Les ruisseaux gorgés d’huile dégorgent des rats d’eau et les sources taries empoisonnent les bêtes. Les chevreuils perdent le nord et ne trouvent à brouter que des écorces mortes. Si la question n’est pas de revenir en arrière, la réponse n’est pas d’accélérer la mort en détruisant l’environnement. Il faut des nids pour les oiseaux, des ruisseaux pour la soif, des trous pour les termites, des terriers pour les loups, du silence pour l’homme, du pain pour les enfants et des abeilles pour les fleurs. L’éclat des halogènes ne remplace pas le soleil.

Publié dans Prose

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