Les secondes frissonnent
L’hiver arrive toujours trop vite avec ses pieds plats comme des raquettes, ses grosses bottes de feutre, ses yeux coupants comme la glace, ses mitaines à poêle rembourrées d’espérance. Les cabanes à sève s’emmitouflent d’écorce. Les canards lèvent le fly pour les pays du sud. Les mésanges s’habillent en michelins miniatures. Les mulots s’encabanent dans les carcasses d’autos. Les pics bois s’endurcissent le bec en martelant de la tôle. On doit réchauffer le corps de caresses, renchausser le cœur avec des mots d’amour, ajouter de la paille au ventre des épouvantails.
Le vent peigne la surface du lac. Des bulles de gaz remontent sous la membrane de l’eau. J’avance avec le soleil pâle dans la boue de l’automne. Les éteules chatouillent la plante des images. L’encre s’étiole sur le sol comme de l’herbe sur la page. Il est trop tard pour semer mais trop tôt pour la neige. Le vent retient son souffle. L’air du temps l’imite. Après tant de couleurs, les arbres se préparent à affronter l’hiver avec les bras nus. La température descend lorsque la sève monte à la tête. À l’approche du froid, le moindre atome de vie répare sa carapace de chaleur.
Le calme des nuages cache une autre tempête. On le devine à la couleur du ciel. D’ailleurs, des éclairs tonnent un peu plus loin. On sent bien que le soleil baisse les bras et abandonne la maison. Le visage du lac prend son humeur chagrineuse. La peau de l’eau se ride. La pluie commence à petits pas, préparant patiemment ses grandes enjambées. Une tempête aussi me traverse, de grosses gouttes d’ombre dans le cœur. Elles montent comme dans un thermomètre. Il faut du temps pour se faire une raison, un visage, une âme, si peu pour s’en débarrasser. On apprend à mourir très jeune mais on apprend vite à renaître.
Le vent se lève, une tonne d’air comprimée dans un souffle. Les herbes s’aplatissent au passage des bêtes. Je sème ce que je peux, des cailloux sur la page, des étoiles dans l’eau, des arcs-en-ciel, des nénuphars, de l’herbe sur le mur. Il faut bien nourrir la vie, nourrir l’amour, nourrir la mort. Ce ne sont pas les arbres qui blessent la forêt. Ce ne sont pas les autres qui font ce que nous sommes. Ce ne sont pas les bêtes qui éventrent la terre. Ce ne sont pas les anges qui s’habillent en soldats. Un arbre bouge. Un oiseau pique à travers le feuillage. Le temps ouvre ses ailes. Les secondes frissonnent.