Les vieilles dames-ballons
Elles promènent leur solitude par les rues des villes et des villages, un petit sac au bout de la main, comme une excroissance, une prolongation. Leurs cheveux blancs et parfois bleus leur donnent un air d’ange diaphane. Elles ont l’air si légères, prêtes à s’envoler au premier coup de vent, au premier coup du sort, elles ne marchent pas, elles glissent sur le bitume, leurs gestes mesurés hésitent sur leur destination. Elles sont penchées, elles se redressent, puis se re-penchent, puis se re-redressent, c’est un petit jeu, auquel elles se livrent, pensant sans doute qu’il n’y a qu’elles qui y jouent, qu’elles qui le connaissent. Leur visage plissé et parcheminé a gardé la trace de tous leurs sourires, de toutes leurs larmes, ils en disent plus que ce qu’elles voudraient.
Elles sentent la poudre de riz, l’eau de Cologne fraîche Jean-Marie Farina, elles sentent le bébé, elles en ont la peau douce, elles ont les jambes comme des roseaux, des bras où palpitent tranquillement leurs veines en ruisseaux, lorsqu’elles bougent, l’air ne remue même pas. Leurs robes sont des fleurs, des iris et des lilas.
Les vieilles dames-ballons sont en apesanteur, plus proches des étoiles, plus proches de la cime des arbres et des oiseaux. Elles ont les gestes graciles des patineurs, ou des chats devant un miroir. Un jour viendra où elles seront comme des plumes, ou comme des ballons que les enfants tiennent au bout d’une ficelle. Puis, les enfants les lâcheront et elles s’envoleront vers le ciel, un peu comme ces fleurs blanches dont chaque pétale s’égrène dès qu’on les cueille.
Michèle Menesclou