Nous avons tous le même âge
Les plaies ouvertes par la mort d’un ami, même les mots du coeur ne peuvent les fermer. Alités sur le gouffre, les rêves au fond de soi, on les regarde vivre au-delà des fenêtres sans pouvoir les toucher. On se tient assis au bord du vide sans pouvoir s’éloigner, avides, assoiffés, à l’affût d’un éclair, d’une échelle, d’un sourire. On lance dans le puits du souffle un petit seau d’espoir pour recueillir des miettes qui deviennent montagnes. On voudrait bien tenir au bout de son crayon les images dispersées, retenir les chansons, revoir sur la neige les signatures d’enfant et les pas des chevaux, repeindre les couleurs qu’on a laissé faner, rejoindre les secondes qu’on a volé au temps. Les noms, les numéros dans mon carnet d’adresses forment de plus en plus des taches de silence. Même le mien s’efface sous les larmes versées.
Le temps change de forme de la fossette aux rides mais ne change pas d’idée. C’est un vieux têtu qui se répète. Sa carte de visite est celle d’un fossoyeur. Le temps reprend ses mots, ses couleurs, ses rêves. Il arrache en passant les mèches invisibles sur le front de l’amour. Le temps de franchir une marche, l’escalier disparaît.
Les mots tombent à côté de la bouche sans trouver la parole. Les fleurs aux fenêtres ne clignent plus de l’oeil. Le temps ne marche plus sur des échasses. Le soleil est trop loin. L’espoir a vieilli d’une vie, la nôtre évidemment. La tête dans les nuages, elle retombe en pluie. On ne voit plus le monde par le trou des serrures, on voit ce qui est là. Les images ont effacé leurs pas sur les lignes de la main. Nous savons que les morts traversent le village avant qu’il se réveille. Sur le grain des photos, ils effacent nos rides. Nous avons tous le même âge durant les nuits d’orage.