Lorsqu'arrive le printemps
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’immonde a usurpé le visage de la démocratie. À chaque vote on pille un peu plus la planète. Chacun promène son nom sans montrer son visage. Chacun porte un salaire comme une identité. Les klaxons sonnent faux dans le vent des réclames. On met le monde en bulles comme un savon liquide. L’argent, qu’on croit être la langue de toutes les choses, n’affirme jamais rien qu’un orgueil vide de sens. Nous sommes là pour vivre ensemble. Il serait préférable de s’aimer. J’habite un bonheur mal meublé, la porte ouverte à tout ce qui s’appelle vivre. Je porte mon espoir sur un brancard de fleurs. Lorsqu’arrive le printemps, j’ai des symptômes de rivière. Les mots débordent sur la page, charriant le meilleur et le pire, les dernières glaces et les premières épaves. Je vis près des poissons, des arbres, des étoiles. Je fais avec les mots une église enfantine où la mémoire s’émeut. Je vis d’un pain d’oiseau au ventre de la faim. Quelques phrases me rattachent à la vie, quelques amis, quelques fleurs. Une amoureuse me couvre de lumière. On dirait un fil d’or sur les coutures de l’âme.
Trop de mots restent dans la brume. Trop de gestes se perdent sous la voussure des épaules. Chacun cherche un emploi au lieu de trouver l’amour. Même les pauvres vendent leur âme au premier coq qui chante dans la langue du fric. Les chiens donnent leur vote pour une laisse chromée. Au Québec, un travailleur par jour perd la vie dans la course au profit. Les autres se décervellent entre les infos pubs et un match de hockey. J’ai quitté tout cela pour le silence des montagnes et voilà qu’on leur rase le crâne pour semer des antennes. Des cicatrices s’ouvrent sous la barbe des arbres. Pendant qu’on cherche le bonheur sur un écran géant, je porte l’essentiel dans mes poches, au creux d’une écale oubliée, entre deux grains de sable, dans la mémoire minuscule d’un brin d’herbe. Je marche à la rencontre de tout. La musique qui embrasse l’oreille embrase les oreillettes du cœur. Un caillou qu’on déplace change le cours du monde. Chacun transporte l’infini. Celui qui perd ne perd rien, celui qui gagne non plus. Il ne faut pas courir après sa queue mais la queue de la comète. Il faut boire le ciel avec ses yeux, remplir le vide avec ses mains.
L’herbe repousse quand les géants mordent la poussière. L’homme se met en marche quand les machines s’arrêtent. Entre le monde et les livres, je me trace une route. Je me hisse d’un mot vers la simplicité, dans la complicité des arbres, des nuages, des bêtes. Un crayon à la main, je butine la terre. Je prélève du sens dans le miel noir des pages, la cire des images, la ruche des phonèmes. Après leur envolée dans un remous de plumes, l’étrave des outardes traverse l’horizon sans rien éclabousser. Différents tons de jaune ont délavé la neige. Les premiers pissenlits tachent déjà les doigts. Les montagnes par ici sont comme des mains d’homme posées à plat. Un doigt de pierre dessine la colline du ventre, du pubis au nombril. Ses gestes sont des arbres, des nuages, du vent. Ma voix, couchée comme une chienne dans le chenil des mots, se remet à japper. Il y a des mots que l’on garde longtemps en bouche après les avoir sucé, en avoir tiré le suc, le goût, le moindre bout de peau. Lorsque j’écris la nuit à la lueur de la lune, mes phrases ont l’air de fils aux linges mal accrochés. Leurs voyelles penchent en gigotant et salissent les pages. L’herbe cousue entre les pierres cache bien ses coutures. À l’opposé, tout ce que j’ai bu, je le crache en paroles. Je me suis couvert de lettres pour trouver un seul mot à la mesure du silence. Ne rien attendre, c’est comme attendre tout. Le solitaire n’est jamais seul. Nous sommes tous entourés par la vie.