Par la glissière des lèvres
Le temps ne se lit pas sur un calendrier. C’est l’humilité qui grandit l’homme, pas la gloire. Je n’écris pas mes livres. Ce sont eux qui m’écrivent et me portent. J’ai besoin des mots pour mettre un pas devant l’autre, des gestes dans les bras, des choses dans les mains, pour regarder derrière le paysage, appréhender l’âme derrière les apparences. Il faut la main pour comprendre la main, la main chaude, la main à la pâte, la main d’un jardinier, la main nue. Il y a dans l’écriture des restants du début, un cerveau de serpent, de poisson, un art du silex, la douceur des amibes. La tête la plus vide reste chargée de l’homme. Les mots viennent avec des feuilles, des oiseaux, des gouttes de pluie, de la cendre, du feu. J’entends les mots bien avant de les avoir écrit. J’habite à l’intérieur de ma voix.
Quand elles deviennent pesantes, il faut donner de l’air aux idées. Les mots prennent leur élan le long du corps avant de s’envoler par la glissière des lèvres. Les livres m’ont changé bien plus que les années. Il y a des nuits qui viennent et d’autres où c’est le jour se retire. La mer monte et descend. Je vais du noir au noir pour trouver la lumière. Je sens comme un arbre d’homme la pression des racines, la chlorophylle qui réchauffe, les feuilles prenant le frais, le frémissement du vent sur l’écorce des branches. J’aime écrire à la main, égaliser les phrases avec la paume, glisser un doigt entre les mots.