Paroles indiennes
Géographies 3
mémoire de tous les non-dits de l’hiver
raconte-moi je t’en prie
tout ce qu’ils n’ont pas cessé de se cacher pour vivre
sans s’avouer qu’ils en mourraient déjà
mémoire des pas qui se promènent
dans la cuisine des petits canadas nice & wasp
derrière la fenêtre de l’assimilation
eux qui avaient parcouru l’amérique de fond en comble bien avant l’arrivée des yanquis n’avaient qu’une seule hantise se départir de leur archéologie première oublier leur histoire par le culte même du passé afin de devenir de vrais-américains-de-la-dernière-heure — tout comme les Grecs Italiens Portugais ou Chinois — et avoir enfin droit au plaisir de la même ségrégation démocratique que tous les autres
«Oh tell me, please tell me, don’t you remember? Tell me that language you were murmuring to me when I was a kid! It was so soft. Fresh as a pillowslip. Oh, tell me again that chanson you were singing so quietly in the twilight’s rocking chair. That lullaby. Lul-la-by! That libellule. Li-Bell-Youle. You don’t know anymore? You have forgotten again the word libellule. I can’t believe it. It had taken you a full month to extract it from the basement of your fading memory and you lost it again. I just can’t… Your name is the last drop of french I got. Nothing else. Why have you quitted speaking my own language? You should have quitted smoking instead. Why have you quitted dreaming our own memory? Why? Why? Why? Why have we let so quietly our own heritage be wiped off?»
Libellule. Libellule. Li-Bell-Youle. Oh, what a splendid lullaby we used to be!
*
memoria memoria
memory of other languages
I’ve once spoken
et dont j’ai oublié tous les grelots
mémoire d’un autre langage
disparu sous la ligne de flottaison
mots hurons
mots iroquois
mots muskégons
mots partis en canot
sur la géographie de la toundra
pour ne jamais revenir
nee-zee t’sontsi-tzé
bou-tchi-à-tcho
maçi tcho
mots-frasil humectant les lèvres
de la rivière enragée
chansons esquimaudes dansant
sur les aurores boréales de février
tell me brother
quelle langue rêvaient nos ancêtres
sur la marée du fond des bois
quelle langue traçaient nos ancêtres
en ouvrant la trail après la tempête
fala para me irmazinha
quelle langue causaient les anciens
aux racoûnes en fleur et aux renards croisés
quelle langue rêvaient les sorciers de l’île d’orléans
juste avant de se transformer en wendigos
mech’ mech’ mech’ don’
marche marche marche donc
glottaient les vieux esquimaux-koutchines du koyoukon
à leurs chiens-loups
ravages chicoutées michipichou
nâgane barcanes bouscueils
d’où me viennent tous ces mots
ayant échappé au contrôle académique
ouapiti chikok carcajou
aglou oumiak eekalou
mais d’où me viennent donc
tous ces sons
*
mémoire d’une perte de rivière
mémoire d’une résurgence géographique
frimousses marines
glaciers jongleurs
forêts galeries
mémoire morène
mémoire-marrow
mémoire-marronne
mémoire de la peau
a pele como memoria
o sotaque como pele
la peau comme un accent
la mémoire comme couleur
Jean Morrisset