Perdu dès ma naissance
Perdu dès ma naissance, j’apprends à m’égarer de mieux en mieux. Je me suis fait les dents au pain froid des questions. J’aime ce qui s’entête à pousser dans les ruines, les ronces, les gouttes d’eau, même les boites de conserves où la rouille dessine comme un très vieil enfant. Peu importe la durée de la vie, l’amour la prolonge. L’éternel s’enveloppe de tout ce que l’on est. La goutte d’eau chante longtemps pour celui qui écoute. Je glane l’insolite au hasard des routes, quelques voyelles arrachées d’une fleur, le regard d’un loup que je suis seul à voir, une mitaine oubliée qui se cherche une main, le squelette d’un oiseau tombé on ne sait d’où, un stylo mort d’anémie au milieu d’une phrase. J’essuie à chaque pas la vaisselle des routes. Je soigne de mon mieux la blessure du possible. L’essentiel se cache dans la simplicité. Quand la pomme est juteuse, la vie semble moins sèche. La faim est un plaisir. Une accolade égaie l’épaule austère du temps. Il ne faut pas se fier aux apparences, aux dates, aux théories. Le passé change à chaque jour. La main seule conserve la mémoire des gestes. J’écris en botterlots les choses les plus fines. Les escarpins de danse font souvent fausse route. Ils craignent les cailloux. La vie est un combat d’enfant face à l’éternité.
Le bruit du sel dans l’eau pure assaisonne la soif. Sur les cahiers d’enfant, les noms des animaux empruntent leurs pattes à la réalité et leurs paroles au rêve. Il y a de tout dans une goutte d’encre, des papillons, des fées, des idées presque nues, des gnomes en salopette, des cailloux de montagne qui changent de pays et des bonhommes de neige qui avance en raquettes. Écrire dans la nuit est un travail de taupe auquel je me suis fait. Je ne dors que d’une main. À la merci des vagues et du courant, avec des bras pour me noyer, je godille du crayon au bord de l’eau écrite. Je survole ma vie comme un oiseau de proie, une phrase clouée au bec se débattant pour rien. Je suis un drôle d’oiseau qui fait voler sa cage. Le bonheur ne tient qu’à un fil, celui que je déroule pour en faire des lettres. J’escamote les droites avec mes deux mains gauches. Je n’ai que faire des poèmes carrés. J’habite mes oreilles tout autant que mes yeux. J’écoute et je regarde du côté de l’envers. Je me contenterais bien d’une poignée de main, d’un infini de poche, jamais d’une moitié d’amour.