Quand je dis

Publié le par la freniere

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C’est une poire d’hiver entre les terres
blanches et les oliviers. Une attardée de
sucre et d’eau, un sein offert qui fait claquer
la langue. Indécente et promise, elle attend.
Rougissante sur le tranchant de février, la
rousse égarée fracture le froid. Elle attend la
main, le compotier, la bouche. Une épingle
ambrée broche son ciel, de vieilles feuilles
suivent le même vent. Tout rêve est un
poker, pour voir. Jusqu’à la dernière carte,
que tu ne connais pas.


Il fait une heure forte et assurée. Le jour
parcourt mes plumes et le ciel me regarde.
L’espace me réconcilie qui me lèche d’un
soleil de plus. Des genoux remontés où
j’appuie mon menton, à l’heure qui est ce
qu’on en fait, j’attends un pas et des doigts
sur ma nuque. Le simple et la violence
d’être. Dans la famille quotidienne, je choisis
l’étonnant. Et le désir, sur la table de la
salle à manger.


Il est mon espagnol, mon terrain
d’aventures, mon gris de feu, ma terre de
demain. Il lève un ciel, puis deux,
puissant. Marin des équinoxes, de l’envers
des étranges souffleurs de rêves debout sur
les banquises, il est apprivoiseur d’étoiles
et traducteur de vent. L’anneau de
l’insoumise. Il est mon Espagnol.


Quand je dis, les marches rouges de la
maison rouge, toi tu penses à l’escalier,
moi je pense au rouge. Le rouge des
fronts, des fins de jour, des bilans des
galops brisés. Le rouge du rideau sur la
salle. Le rouge, gorge fragile. Le rouge
torche des forêts. Le rouge déteint des
souvenirs. Le rouge laid des vieilles, le
rouge cru des filles. Le rouge des erreurs,
de toutes les terreurs, de toutes les
douleurs. Le rouge cri, le rouge fleur, le
rouge oiseau, le rouge amant. Et le rouge
qui bat au centre. Mais quand je dis les
marches rouges de la maison rouge, je
pense aussi à l’escalier, à cause des roses,
violentes.


Quand je dis ton nom, c’est bien plus que
ton nom
Les doigts du soleil hors saison
Le lait d’une tasse bleue
La crue du coquelicot
La table de fête dressée sur le sable et des
bougies partout pour le mariage du
cerisier
Un voilier sur l’arrondi
Un chiffre pour l’horizon
J’entre et sors du monde par l’écriture
et toi.


Encore le soir était venu. Les mains sur le
piano ne disaient pas un mot. Encore le
jour quittait la plaine. Des églantines
rosissaient et l’on eut dit une prière sur le
silence reposé. La nuit portait une
mantille, au front un printemps andalou, le
noir la voulait comme une fille, un rendez-vous.
L’air secouait les chevelures, les clés
retrouvaient leur destin, on voyait des
bougies, le ciel n’y était pas pour rien. Ni
haut, ni bas, mais le discret, les sens
s’éveillant doucement, ni haut, ni bas,
mais le secret d’un tango lent, là-bas, le
mouvement.

 

Ile Eniger

Publié dans Ile Eniger

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