Que reste-t-il ?
Le sommet ne vient pas sans grimper la montagne. La cime ne vient pas sans des racines sous le sol. La paix ne viendra pas sans ignorer les dieux, les drapeaux, la monnaie. Les heures qu’on remplit se vident à mesure. Que reste-t-il de nous à la fin du voyage ? Nous portons le réel comme un chien tire sa chaîne. À l’affût dans les mots, j’interroge les marges. Le nom de Dieu est vide et vaines ses promesses. Dans un jardin de roses, seules les épines restent. Entre les chaises et l’homme, les objets domestiquent la sauvagerie du cœur. Il y a toujours un mur qui fait taire l’enfant, une porte qui claque, un rendez-vous manqué, des excuses de toutes sortes, des erreurs de parcours, un bout de route effacé. Il nous faut tout recommencer. Je ne sais par quel mot.
Le temps, bourré de somnifères, a le sommeil des narcoses. Le réel du commerce n’a rien à voir avec la vie. Il brise l’harmonie et les ailes d’oiseau. Il enchaîne le vent sur des épines de fer, la beauté des corbeaux, la liberté de l’eau. Il remplace la forêt par un désert de viande et contamine jusqu’au sang la caresse des hommes. Trop de fusils farfouillent dans le cul de l’amour et le vagin des sources, reniflant le dollar au fond des sacristies. Les minarets et les clochers font de l’ombre au soleil. Il n’y a plus d’espoir du côté des prières. Nos autels de chair sentent le sperme rance. Aboyant comme un loup, j’empaquète mes os avec un drapeau noir et je respire la lumière. Je pose la rosée sur les toiles d’araignée. Je redresse en sourires les larmes échouées. Taillés dans la douleur, mes mots prennent la mer sur un bateau fragile. On n’est jamais trop vieux pour tout réinventer.
La pesanteur de l’homme empêche son âme de voler. Les larmes peu à peu ont remplacé les yeux et les armes les mains. J’entends craquer les doigts sous le marteau du boss et le papier grincer sur les carnets de chèques. Les mots font tant de bruit qu’ils enterrent les phrases. Ils se sont aimés pourtant comme les notes de Mozart. Seule la musique pardonne l’insuffisance de l’homme. Une pluie de décibels a dispersé l’orchestre et délavé les pages. Les bras nus de l’espoir laissent voir leurs biceps et font un doigt d’honneur sur le dernier bilan. Le dos voûté sous la mémoire, le temps cherche son souffle. J’aimerais juste comprendre la souffrance des hommes. J’écris avec la langue que j’ai. La main dedans les mots, je les caresse ou les rudoie. J’écris avec l’oreille que j’ai, au point focal du poème, ce carrefour des possibles. Écouter le vent est une autre façon d’habiter sa vie. Le paradis perdu est à portée de voix. Entre la chair et le crayon, ce n’est pas l’encre qui circule, mais le sang. J’apprends à conjuguer le verbe chaud du monde.