Rien ne se crée de rien
Pendant que les banquiers sirotent leur whisky, des enfants naissent ailleurs dans un hamac de napalm. Des femmes accouchent au milieu des ordures. Elles protègent leur ventre comme ce menuisier qui prend garde aux échardes. Il arrive que je parle à côté de ma bouche, que le sang coule sans blessure. J’écris comme on se sert de ses mains. Ce qui est trop grand pour être vu est trop petit pour un autre. Le rien n’est qu’un manteau sur quelque chose d’autre. Rien ne se crée de rien. Un homme qui avance crée de l’espace derrière lui. J’ai la terre en mémoire, ponctuée de racines, un fleuve entre les os.
Avec le désespoir, on coule comme une pierre. Avec l’espoir, on peut s’attendre à tout. Je m’éveille toujours étonné d’être en vie. Dans un monde intérieur, il n’y a pas d’horaire. Les mots filtrent la vie pour qu’on voit l’invisible. J’ouvre la cage des paupières. Beaucoup trop d’hommes ne savent plus être des arbres, ne savent plus aimer, ne savent plus savoir. Je me débats dans la matière du monde. L’hologramme de l’âme se fond dans l’hologramme du corps. La hauteur commence par la base. Il ne sert à rien de partir trop haut ; on finit par tomber. Je monte un à un les degrés de la vie. Je nage dans le brouillon de l’âme, un oeil sur le ciel et l’autre sur la terre. Mon temps est un grand maigre que je nourris de mots, une fleur que j’arrose avec des larmes d’homme.