S'indigner ne suffit plus

Publié le par la freniere

Cela fait 45 ans que je n'avais pas croisé Kropotkine. Une vie, quoi!

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Quand ce Russe était au nombre de mes préoccupations sociales et intellectuelles, c'était en mai 68 à Paris. Entre deux soirées à lancer du pavé sur la maréchaussée, mes copains et moi-même refaisions le monde.

Tout comme Proudhon et Bakounine, ce camarade vitamine, Kropotkine était l'objet de notre admiration. Un type attachant. Dont le projet de société idéale se situait à mi-chemin entre l'anarchisme et le communisme.

 

Aussi, c'est avec beaucoup d'émotion que j'ai retrouvé Kropotkine. Convoqué à la barre des témoins dans Désobéissez!, un essai que Victor-Lévy Beaulieu nous propose pour célébrer ses 68 ans. Publié par les Éditions Trois-Pistoles, ce cri du coeur de 200 pages est à l'image du célèbre Indignez-vous! de Stéphane Hessel.

Mais le discours de VLB est plus pétillant et stimulant que la petite jaculation d'à peine treize pages de l'indigné français. Qui avait trouvé grâce auprès de quatre millions de lecteurs.

 

Aux généralités ampoulées de Stéphane Hessel, je préfère la sincérité brute de décoffrage de VLB.

 

De fait, s'indigner ne suffit plus. Il faut faire plus. C'est ce que propose notre Victor Hugo local : désobéissons!

 

À ceux et celles qui verraient une insolence dans mon allusion à la légende du XIXe siècle, l'oeil était dans la tombe et regardait Caïn, je me permettrai de citer VLB : «Dans ce que j'écrirais, je brasserais la cage par-devers une société fondée sur l'hypocrisie et la cupidité, sur le mensonge et la répression. Je serais Victor Hugo, rien de moins.»

 

Sauf à vouloir le rebaptiser -Victor-Hugo Beaulieu, qui osera dire qu'il n'y est pas parvenu?

 

*****

Donc, un nouveau livre de VLB. Écrit, je cite, comme un cri que pousse une bête blessée.

Pourquoi ce livre qui est un pamphlet au sens traditionnel du terme, c'est-à-dire un texte court qui attaque avec violence le pouvoir établi et l'opinion prévalente (merci monsieur Robert)? «Pour répondre à un sentiment d'urgence.»

 

Écoutons l'artiste : «Notre société se disloque parce que le pouvoir bourgeois a perdu tout sens de ce qui est juste et de ce qui ne l'est pas, de ce qui est équitable et de ce qui ne l'est pas, de ce qui est le bien commun et de ce qui ne l'est pas, de ce qu'est la nature et de ce qu'elle ne doit pas devenir si nous ne voulons pas disparaître comme espèce.»

 

Mais encore? «J'ai écrit cet ouvrage pour que se réveille notre conscience et pour que celle-ci, enfin réveillée, nous puissions agir, départager ce qui est juste de ce qui ne l'est pas, de ce qui est équitable de ce qui ne l'est pas, de ce qui est bien-être de ce qui ne l'est pas.»

 

*****

En plus d'évoquer la violence qu'il porte en lui et dont il se libère en écrivant, VLB brosse un portrait caustique de la société québécoise.

 

Le système parlementaire? «Absolument obsolète. Ce qu'il sait faire le mieux, c'est de créer des problèmes, de les rendre de plus en plus compliqués, au point que croyant ainsi tromper le citoyen qui ne sait plus quoi penser tellement on met d'énergie à le garder dans l'ignorance, il finit lui-même par être aveuglé, ce qui le rend stupide, incompétent et corrompu.»

 

Le syndicalisme? «Au syndicalisme de combat s'est substitué le syndicalisme d'affaires, une business comme une autre qui n'a pas su évoluer au même rythme que la société. La Commission Charbonneau nous a révélé quelles sont les conséquences de ce syndicalisme d'affaires : corruption, collusion, cupidité, aux dépens du bien commun.»

 

Les valeurs québécoises? «Nos gouvernements se targuent du respect qu'ils ont pour ce qu'ils appellent nos valeurs. Ce n'est là que pure hypocrisie. Ils ne savent rien de ces valeurs, sinon sous forme de clichés qu'ils n'utilisent qu'en période électorale. Égalité des femmes et des hommes, la belle affaire! L'éducation accessible à tous, le pieux mensonge! La mise au pas des multinationales qui empochent les profits de façon déraisonnable, l'irréalisable utopie! La contribution plus équitable des classes les mieux nanties au bien-être de la communauté, la chimère de toutes les chimères!»

 

Le Parti québécois? «Il lui manque un projet national, une vision éclairée et éclairante de notre société. Le Parti québécois a manqué son rendez-vous avec l'Histoire pour les mêmes raisons que le Parti socialiste en France : son embourgeoisement qui en a fait le complice du patronat plutôt que l'allié des classes moyennes et des défavorisés.»

 

Le printemps érable? «Cette extraordinaire effervescence n'a rien changé de fondamental dans la donne politique québécoise. Pendant un certain temps, elle a permis le rassemblement de toutes les couches de la société, mais ce rassemblement n'a pas duré parce qu'il lui manquait cette conscience qui fait de l'individu un véritable citoyen.»

 

Que faire, alors? La réponse dans Désobéissez!. Où VLB suggère quelques actions basées sur la non-violence, la solidarité et le respect de l'environnement.

 

Actions qu'un esprit réaliste qualifierait de naïves.

 

Un commentaire : dans son livre, VLB est passé à côté du phénomène sociétal qui explique en partie la léthargie ambiante. Jeunes et vieux, mais les jeunes plus encore que les vieux, sont aliénés par la cyberculture. Cette cyberculture où chacun se met en scène et se donne en spectacle.

 

Le nouvel opium du peuple, ce sont les bébelles électroniques et leur mirobolant usage.

 

Didier Fessou    Le soleil

Publié dans Glanures

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<br /> " Cette cyberculture où chacun se met<br /> en scène et se donne en spectacle. "<br /> <br /> <br /> Aouche, ça fait mal - mais c'est vrai -<br /> mais ça fait mal.<br />