Des tatouages de poésie
Les hommes qui dormaient dans l’herbe et la chaleur s’assoient devant l’écran en mangeant des images d’eux-mêmes. Ils regardent le monde par la fenêtre des portables. Leurs prières sans fil ne s’adressent qu’aux marchands. Quand je deviens végétarien, c’est pour ne pas bouffer de la vache enragée. Il faut bien survivre à son propre chaos. À force de zigonner sur le net, j’en perds le goût et l’odorat. J’en perds jusqu’au sens des mots. J’ai besoin d’air et d’espérance. Je pars bivouaquer avec le vent, dresser une tente sur l’azur. Je suis assis sur la grosse roche plate qui surplombe le lac. Un héron me regarde avec ses pattes en souliers fins. J’ai l’air d’un Bouddha barbu oubliant ses prières. J’ai égaré mon carnet de notes, ma guitare, ma voix. Je dois écrire sur ma peau, me tatouer des mots sur le cuir du coeur. Des phrases bougent sur les lignes de mes mains. Chaque geste est un silence, une virgule, une pause dans le concert des cigales. Les mots roulent sur le sol et deviennent galets. D’autres s’envolent en papillons, en pattes de mouche, en papillotes de cendre tourbillonnant au vent. Le lac est sillonné de rides comme le front d’un vieillard. Il est pourtant plein de vigueur avec ses muscles d’achigan. Les jupes de la houle font danser les pontons. Le vent, c’est l’air qui rêve à voix haute. Les becs des oisillons me lisent des poèmes. Des fleurs d’eau éclosent sur le bord du rivage. Les collines tout autour ont l’air de femmes enceintes sur le point d’accoucher.
Le lac s’est calmé, tranquille comme une tasse qui n’a jamais servie, étale comme une eau qui ne sait pas nager, un bilan que désertent ses nombres. Au printemps, la terre enlève ses bandages et montre ses blessures. Je ne veux pas grand chose, enlever la pierre sur mon dos, fleurir avant de m’en aller, une agrafe d’amour pour retenir la vie. La pensée bat entre mes tempes comme un cœur cérébral. Un arbre dit ce que dit le vent. Un autre le répète en langage d’oiseau. Des fleurs fanent comme des cœurs à sec cherchant un encrier, des larmes retenues rongeant la digue des paupières, des mains mouillées sur un fil électrique. J’écris avec des mots de terre, des mots avec des tripes, avec des bras, avec la houe pour les sillons. Un homme se dévêt de ses mots comme la mort le défait de ses gestes. Le poète ne parle jamais seul. Son je n’est pas le sien mais celui de chacun. Je est un autre. L’ange du monde saigne. Ses deux ailes n’arrêtent pas de se combattre en vol. Je vais, une main comme une fleur dans le jardin d’une poche, l’autre comme une bêche, une pelle, un crayon, un pied dans l’abîme, l’autre sur un nuage, un mot sur une ligne et l’autre dans la marge. Le langage des nuages est dans la pluie qui tombe, celui de la neige dans sa chute. Les oreilles ne crachent pas de sons, elles digèrent en silence. Il y a deux cœurs dans un cœur, celui qui se bat et celui qui caresse. La route n’avance pas plus vite pour la brouette ou le bolide. De l’arrondi à l’angulaire, toutes les lignes se valent. Le sens n’est qu’une fumée qui s’échappe du feu. Il se fait du massacre un peu partout dans le monde, du saccage, du vivant qu’on oublie d’arroser. De longues larmes d’homme font partie du silence. La peau contient tout le sang des blessures, le bleu des ecchymoses. L’enfant ne ment jamais aux choses qui l’entourent mais ses jouets lui mentent sur la réalité. Quelques érables bêlent dans l’étable du bois où le berger de l’ombre se déplace à pas lents. Lorsque le vent lèche le sexe des cascades, ce sont les fleurs qui frissonnent. Lorsque deux être s’aiment, c’est tout le monde qui grandit. Les bruits des corps quand ils s’aiment font la plus belle des musiques. Lorsque je suis les mots, ils me mènent plus loin. Les mots font d’une poire une pomme nouvelle, d’un cercueil un berceau, d’une phrase une image. Ils font du rêve à même les rebuts. À l’échelle d’un arbre, je suis l’enfant qui monte embrasser le soleil.